Prononcez le mot « Libération » lors d’un repas de famille, et les images aussitôt surgissent : une ferveur à nulle autre pareille, un bouquet de femmes agrippées, rieuses, à des tanks, un monde à reconstruire dans le vacarme des combats, des procès, des comptes à régler.
Publiant « La France libérée » (Perrin 399 p. 23 €), Michel Winock nous offre beaucoup mieux qu’une synthèse, plus qu’une monographie pratique à l’usage des curieux : ce diable d’homme (inutile de râler que l’on parle encore ici de lui, qu’y pouvons-nous s’il est un travailleur au talent véritable- pour employer la tournure préférée d’une Guermantes?) associe la rigueur de la science au rythme alerte- on allait écrire allègre- de la phrase de sorte que son panorama nous entraîne à la semblance d’un roman formidable.
Ecoutez quelques lignes de la première page… « Les trois années qui ont suivi la libération du territoire français ont été chargées d’espérance, écrit Winock. Une nouvelle république devait naître, dont les traits avaient été fixés par le programme du CNR, le Comité national de la Résistance rassemblé en 1943 par Jean Moulin au nom du général de Gaulle. » En trois mots le décor est fixé, le récit peut s’amorcer. Pêle-mêle, on retient La sortie de la guerre, le Maréchal devant la Haute Cour, la nouvelle presse. « Quoi de neuf ? Allez-vous dire, si ce n’est la qualité du texte ? » On serait tenté de répondre que cela ne serait déjà pas mal – pour avoir lu quelques pensums, on peut témoigner du plaisir que l’on trouve aux narrations vivantes. Mais on trouve ici des idées, des points de vue, formulés de façon solide mais toujours fraternelle. Michel Winock possède la tranquillité que le sentiment du devoir accompli confère. Il est lucide mais ne s’en fait guère une bannière. Il argumente et chacun reste libre de le contester ; mais ceux qui voudront s’y coller devront travailler leur dossier, parce que le bonhomme a parcouru cette histoire depuis son plus jeune âge et connaît bien la question.
Le Parti Socialiste
Prenez le chapitre consacré au Parti Socialiste. Avec une sévérité qui réjouit, Michel Winock, ancien lycéen Mendésiste, dresse le portrait de Guy Mollet. Mais derrière le tartignole d’Arras- qui l’emporte en 1946 au détriment du cher André Philip- un rendez-vous manqué nous est décrit par le menu : l’impossibilité de la SFIO de rompre avec le guesdisme, adaptation française du marxisme politique. Il en va de même au sujet du Rassemblement du Peuple Français, mouvement voulu par de Gaulle pour revenir au pouvoir après l’avènement de la IVème république. Avec une clarté confondante, l’auteur explique l’enchevêtrement d’une ambition, de circonstances favorables et finalement la résistance imprévu d’un régime qui paraissait vulnérable.
On aime aussi les à-côtés, les tableaux qui signent un trait d’époque : l’Affaire Petiot, le premier festival de Cannes – on croit deviner que l’adolescent d’Arcueil en pinçait pour les yeux de Michèle Morgan- le tour de France enfin, véritable épopée par laquelle Winock escompte évidemment damer le pion de Blondin.
Chronique d’un autre âge
Refermant le livre, vous ne manquerez pas de vous poser la question : quoi de commun entre cette France de naguère et celle d’aujourd’hui ? L’auteur n’est sans doute pas loin de partager votre point de vue, considérant peut-être qu’il a rédigé la chronique d’un autre âge. Il n’en demeure pas moins qu’au-delà du bonheur que tout à chacun peut ressentir à remonter le cours du temps, certaines strates perdurent en nous. Le sens de l’engagement, la puissance de l’imaginaire collectif, et le désir de faire vivre, encore et toujours, ce cher et vieux pays.
La décision présidentielle de la semaine démontre à tous que pour inventer l’avenir, il faut aussi se souvenir des grandes figures de notre histoire et qu’en France, tout finit par des chansons.