Chez nous, la forme brève brille. La littérature Française a le sens du vif, de l’esquive et de l’estoc.
Inutile d’évoquer les forçats de l’océan pour nous offrir une contradiction : Châteaubriand, Victor Hugo, Balzac, et Marcel Proust ont disposé l’infiniment petit dans la galaxie de leurs écrits, marqueterie d’images, bocage de mots. Les protestants excellent à ce jeu-là. Tenez…
«Vers 5 heures, le temps fraîchit ; je fermai la fenêtre et je me remis à écrire. A 6 heures entra mon grand ami Hubert ; il revenait du manège. Il dit : « Tiens, tu travailles ? » Je répondis : « J’écris Paludes. »
Avec des riens, Gide a fait naître une façon neuve de pratiquer l’art des phrases – comme on parle, au sujet de la musique, de celui des sons. Le temps n’est pas toujours aux chevaux galopant dans la plaine de l’aventure, il n’empêche pas de vivre la passion.
Florence Delay travaille ainsi. Ses « Zigzag » (Le Seuil, 165 p. 18 €) ont l’esprit de l’escalier, s’amusent et nous instruisent :
« On dit de l’éclair qu’il zigzague parce que le typographe du ciel y dessine, pendant l’orage, la dernière lettre de notre alphabet, note la romancière, Académicienne. Sur terre, bien des formes brèves, en prose comme en poésie, aspirent à son éclat. »
Viennent des méditations – ce que dit la Bible à propos de la foudre– des entrechocs – Héraclite croise René Char, Cassius Clay rencontre Nicolas Boileau– des comparaisons de déraisons. Penchés sur le berceau du mot d’esprit, l’homme de cour Balthasar Gracián, Jules Renard et Sigmund Freud ont l’air joyeux de ceux qui savent sourire, écrire et penser tout la fois.
«La cure, par excellence, est le jeu, note encore Florence Delay. Les guérisseurs de mots commencent par les séparer de la famille, par délivrer le patient de ses liens de parenté étymologiques en lui en inventant d’autres, phonétiques, graphiques, voire mythologiques. Desnos : « Prométhée moi l’amour. »
Il n’est rien de plus typé que ce voyage : incises, détours et digressions, tout y est, qui signe une manière, une civilisation. Parfois, le crépuscule s’invite à la table de la femme de lettres. Mais jamais la mort ne l’emporte. Et la conclusion magnifique du livre le confirme: « Je salue nos vies brèves et l’inconnue qui leur survit ».
Tout autre est le propos de Le Clézio. Mais lui aussi veut dire en peu de mots ce qu’il faut. L’économie nous serre ici le cœur « Ils ont entre sept et quinze ans, le plus âgé c’est Manuel Racimo, dit Mano, qui vit dans sa famille, le plus rapide c’est El Gato, le plus sournois, le plus violent, c’est Bravo, on dit même qu’à treize ans il a déjà tué un homme, un adulte qui voulait le baiser au fond d’un tunnel, il a un couteau à ressort à cran d’arrêt. Il y a aussi les filles, la Nutria qui est un peu demeurée… » L’une de nos consœurs a prétendu voici quelques semaines que Le Clézio n’a pas de style– ou bien, ce qui revient au même, qu’il est ennuyeux à mourir. Ah bien sûr, il ne danse pas. Ses livres pèsent à force de refuser le futile. Mais telle est bien son intention – nous allions écrire son désir. Aussi bien le recueil de ses nouvelles, « Avers » (Gallimard, 220 p. 19, 50 €) apparaît-il comme une antithèse des Zigzag. Au lieu d’être léger, Le Clézio veut lester. Peser sur la conscience. Il n’empêche, la forme brève domine encore.
Déposer le poids du monde au fond de notre besace, en quelques pages, voilà qui n’est pas donné tous les jours au premier clampin qui passe. Et qu’importe si cela déplaît, si cela semble atypique. Peu français ? Tiens-donc… On jurerait que cela ferait plaisir au Niçois qui vit à l’île Maurice.
Dominique Fernandez explique notre tendance au laconisme par la modestie de notre territoire et notre vie politique. « Le modèle littéraire ne peut pas être le même dans une démocratie bourgeoise et dans Far East dont les frontières se perdent dans un brouillard glacé, souligne-t-il au détour de son livre « Avec Tolstoï ». Soit. Nous aurions l’imaginaire limité de ceux qui vivent à l’abri d’un hexagone. Une telle bordure interdit-elle de rêver ? Florence Delay, Le Clézio, chacun suivant son inclination, prouvent que les fenêtres sont ouvertes. Qu’elle tourne vite ou prenne son temps, la littérature est une valse qui se danse en France à merveille. N’allons pas nous jeter de la cendre sur la tête. Comme disait l’autre : « Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » Les mots, toujours les mots…