Lorsque la vie politique prend ses quartiers d’été, chacun peut se pencher sur des livres d’histoire – et nous ne manquerons pas, cette saison, comme on le devine, de recourir à ce stratagème – pour essayer de comprendre le sens des choses. Toutefois, l’art des mots, formule qui pourrait définir la littérature de la même façon que l’on appelle « art des sons » la musique dans le manuel de monsieur Lavignac, offre mille autres chemins. Le roman, notamment.
Mais les clivages y tiennent une place différente. A défaut de s’évanouir, ils n’ont pas la même vocation que dans la vraie vie. Pour le dire autrement, la littérature n’est pas de gauche ou de droite en elle-même, ou par elle-même. Les situations, les idées qu’elle véhicule peuvent refléter les débats, voire les conflits qui se déroulent sur l’Agora, mais par des biais inattendus.
« Le roman n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter, observe Jacques Laurent. C’est un laïque dont la roture est parfaite. On se le procure chez un libraire en employant les mots avec lesquels il est écrit. »
L’écrivain que l’on cite à l’instant comptait parmi les anciens partisans de Vichy; pour cette raison, bien sûr, il cherchait à nous faire prendre ses intentions néfastes pour des lanternes séduisantes. Pourtant, un homme qui symbolisa, plus que tout autre, à la Libération, le littérateur engagé, confirme : « On n’est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses, mais pour avoir choisi de les dire d’une certaine façon. Et le style, bien sûr, fait la valeur de la prose. » Eh oui, Jean-Paul Sartre, puisqu’il s’agit de lui, pourrait ici passer pour un partisan de l’art pour l’art. Au reste, il suffit de lire Balzac pour se rendre compte qu’un royaliste fervent, parce qu’il place au dessus de ses propres convictions la réalisation de son immense projet, peut défendre les révolutionnaires les plus acharnés.
Un univers à part
Les Belles-lettres se conçoivent-elles comme un univers à part, où se lisent des élucubrations de funambules au service des rêveurs ? Il existe, c’est indéniable, des ramifications, des passages secrets- quand ce ne sont pas des boulevards- entre littérature et politique. Mais ils tiennent plutôt de la bifurcation, du changement de pied, parce que la narration, l’imaginaire, entraînent ailleurs celle ou celui qui s’en sert à bon escient.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle nos politiques, si souvent tentés de signer des essais, ne se lancent pas à l’assaut du roman. La science du lâcher prise ne leur est pas familière, une certaine prise de risque non plus. Le genre des Mémoires leur tient lieu de trame légendaire. Et dans ce domaine, il en est un qui surclasse les autres : «Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle.» En relisant de Gaulle, on se dit qu’il s’affranchissait du raisonnable, et que cette façon d’être, à bien des égards, explique sa grandeur.
A cet endroit, peut-être vous demandez-vous dans quelle direction se dirige cet article. Eh bien, justement, lui aussi se promène, de gauche à droite et de droite à gauche. Il use du chemin des écoliers, soucieux de partager le plaisir de ses songes. Mais la semaine prochaine, tout rentrera dans l’ordre. Ou presque.