Grand prix du jury à Sundance, Goya du meilleur film étranger, et nommé aux Oscars 2024 dans la catégorie documentaires, La Mémoire éternelle montre également l’ex-ministre de la Culture du Chili, Paulina Urrutia, accompagner son mari dans son combat pour se souvenir, témoignage d’une merveilleuse histoire d’amour.

Augusto Góngora, journaliste chilien et grand chroniqueur des crimes du régime Pinochet, et Paulina Urrutia, actrice, activiste et politicienne, forment un couple amoureux et soudé depuis plus de 20 ans. Il y a 8 ans, on lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer.

Un journaliste de combat

Sous la dictature de Pinochet, personne n’avait le droit de se souvenir. La junte militaire qui a débuté en 1973 a été une longue marche vers l’effacement de l’être humain. Personne n’avait le droit de pleurer ses morts. Les gens disparaissaient. Ils réapparaissaient en Argentine, égorgés. Ils servaient d’avertissement pour effrayer une nation déjà traumatisée. La police et l’armée arrachaient les gens à la rue. Les gens mouraient de faim. La torture était monnaie courante. Le message était le suivant : soumission, collaboration, conformité ou conséquences impensables pour vous et votre famille.

Le journaliste et auteur Augusto Góngora a participé activement à la résistance clandestine en filmant et en faisant des reportages là où il n’était pas censé le faire. Lorsque le Chili est redevenu démocratique dans les années 1990, il a été l’une des voix culturelles et artistiques les plus importantes à soutenir le pays nouvellement ressuscité. Il était leur gardien de la mémoire… Puis il a commencé à oublier.

C’est bel et bien là, l’ironie du destin. Cet homme qui a consacré des années à préserver la mémoire des horreurs de la dictature de Pinochet se trouvait frapper par l’oubli.

Reconstituer la mémoire d’Augusto, une bataille quotidienne

Après plus de vingt ans de partenariat avec l’actrice et ministre de la Culture Paulina Urrutia (Pauli), ils se sont mariés. Lorsque la réalisatrice Maite Alberdi a commencé à filmer la vie du couple, Augusto était diagnostiqué depuis déjà 8 ans.

Chaque jour, Pauli s’efforce de reconstituer la mémoire d’Augusto. Certains jours, il est lucide et joyeux, désireux de savourer la vie et tout ce qu’elle offre. D’autres jours, il est morose et terrifié, espérant la mort. Deux âmes se perdent et se retrouvent à travers une routine douce mais épuisante.

S’occuper d’une personne atteinte d’une maladie dégénérative, quelle qu’elle soit, signifie que votre propre identité est inextricablement liée à la sienne.

Selon l’heure de la journée ou d’autres facteurs apparemment inexplicables, Augusto peut se souvenir de Pauli. Il peut aussi s’agir d’une inconnue qui se présente à nouveau à lui. Elle lui rappelle qu’il a des enfants et lui demande qui se trouve sur les photos. Par le jeu et les activités de mémoire sensorielle, Pauli s’efforce de reconstruire l’identité d’Augusto, qui s’éloigne rapidement. Augusto pleure ses livres perdus – les livres pour lesquels il a travaillé, les livres qui étaient ses amis, les livres qu’il a écrits.

L’enfermement dans son propre esprit en voie de désintégration est une prison. Une cage comme les oiseaux dans le jardin de leur maison.

Une angoisse mutuelle

Choisir de rester avec quelqu’un aussi longtemps qu’il vivra, pour le meilleur et pour le pire, dans la maladie et dans la santé, est un vœu que Pauli n’a pas fait de manière capricieuse. Elle devient une figure maternelle pour son mari, qu’elle nourrit et baigne. Pauli et Augusto sont tous deux conscients de l’usure de l’identité d’Augusto à mesure qu’il décline. C’est un fardeau mutuel quand Augusto est suffisamment lucide pour comprendre qu’il est en train de disparaître, mais quand il ne l’est pas, c’est l’angoisse de Pauli que le public observe.

Grâce à un mélange d’enregistrements domestiques, de séquences vidéo de leur vie commune, d’images d’archives d’Augusto et de Pauli, et de films de Maite Alberdi sur le couple, La Mémoire éternelle présente une vie bien vécue, créant un hommage empathique et doux-amer.

La mémoire de l’histoire chilienne

Mais cette mémoire éternelle, c’est aussi le Chili lui-même. Raúl Ruiz et Javier Bardem apparaissent en arrière-plan, de même que de nombreux auteurs, militants, acteurs, artistes et réalisateurs. Des milliers de Chiliens sont là représentés – ceux qui ont été victimes et ceux qui ont résisté. Alors, sur fond de cette histoire, ce documentaire pétri d’empathie ne se contente pas de relater le déclin mental d’un célèbre journaliste mais montre toute la beauté de l’amour et comment il peut persister, même lorsque la mémoire fait défaut.

Augusto Góngora est décédé en mai 2023.