Premier long métrage de Just Philippot, et porté par le label de la Semaine de la Critique 2020, La Nuée est enfin sorti en salles le 16 juin dernier, après que sa sortie n’ait été reportée maintes fois en raison de la Covid. Un film plein d’audace et d’imagination qui démontre que le cinéma français sait aussi parfois sortir des créneaux habituels qui ont fait sa marque de fabrique.

Difficile pour Virginie de concilier sa vie d’agricultrice avec celle de mère célibataire. Pour sauver sa ferme de la faillite, elle se lance à corps perdu dans le business des sauterelles comestibles. Mais peu à peu, ses enfants ne la reconnaissent plus : Virginie semble développer un étrange lien obsessionnel avec ses sauterelles…

Peut-il y avoir une idée plus terrifiante que la probabilité de finir dévoré par un insecte ? Ce n’est pas une coïncidence si la plaie des sauterelles est l’une des sept qui ont dévasté l’Égypte biblique, tout comme le fait que ce type d’arthropodes soit le support narratif de nombreux films d’horreur. David Cronenberg avait ainsi dédié l’un de ses chefs-d’œuvre à une mouche et aujourd’hui Just Philippot, quant à lui, parvient à nous faire frémir avec l’image de simples sauterelles.

Dans les faits, l’origine profonde de l’horreur est ailleurs… et le véritable monstre se tapit dans la main de l’être humain ; ici une femme, mère de deux enfants et veuve, propriétaire d’une ferme et à qui la fortune ne sourit pas, quels que soient ses efforts.

En montrant cette femme faire fi de toute valeur éthique pour répondre aux besoins fondamentaux révélés par l’échelle de Maslow, après qu’elle ait découvert que les sauterelles sont plus attirées par le sang que par les végétaux, le film exploite alors avec finesse, élégance et à un bon rythme la capacité allégorique du matériau source. L’engagement de Suliane Brahim dans le rôle de Virginie y contribue indubitablement, mais c’est aussi grâce à l’approche visuelle qui reprend des images et des références antérieures, de Take Shelter de Jeff Nichols aux Oiseaux d’Hitchcock, grâce à une mise en scène solide qui mêle naturalisme et atmosphères angoissantes à bon escient.

Tous ces éléments sont au service d’une histoire pleine de préoccupations contemporaines génératrices de certaines peurs. L’escalade du désespoir social rend d’ailleurs le récit extrêmement pertinent, car si l’histoire en soit peut paraître simple, elle se distingue néanmoins par la richesse conférée par ses différentes couches.

Nous avons par exemple comme décor une ferme dans laquelle une famille avait placé, quelque temps auparavant, ses espoirs et ses rêves de prospérité, faisant de l’élevage de chèvres sa principale source de revenus, mais qui est maintenant devenue un fardeau quelque peu ruineux.

Après la mort (mystérieuse) du père, c’est sa veuve qui doit lutter pour s’en sortir, en pensant avant tout à l’avenir de leurs enfants. On nous présente un personnage féminin fort et autonome, une mère de famille tenace qui, consciente d’évoluer dans un milieu rural majoritairement dominé par les hommes, ose entreprendre un nouveau type d’activité pour assainir l’économie familiale, beaucoup plus exotique que celle que son mari gérait dans la vie, mais dont le lancement lui coûte cher : l’élevage de sauterelles destinées à être utilisées comme farine. Une femme qui a semble-t-il des convictions écologiques et croît aux bienfaits de sa production.

S’ajoute alors les problèmes de relations parents-ados. Avec ce postulat, on pourrait s’attendre à un drame familial typique avec un message de dépassement de soi face aux coups de la vie, mais ce ne sont pas les aspirations de son réalisateur, loin de là. Le scénario de Jérôme Genevray et Franck Victor propose quelque chose de beaucoup plus sombre et tordu.

La révélation accidentelle que ces insectes croissent et se multiplient à une vitesse étonnante lorsqu’ils goûtent au sang est l’élément déclencheur qui permet à La Nuée de commencer à entrer dans les territoires du film d’horreur dans lequel Virginie agit comme cet archétype du genre de l’humain qui joue à Dieu, ce créateur qui perd les rênes d’une création qui, dès sa conception, est condamnée à finir par le pervertir, étant donné sa condition contre nature.

Cependant, Philippot a été, là encore, très habile pour montrer la descente progressive aux enfers de son héroïne. Et c’est d’une manière subtile et élégante que l’engrenage se met en marche, faisant en sorte que le spectateur se connecte facilement à ses problèmes quotidiens. Virginie n’est en effet pas dessinée comme un véritable monstre lorsque la cupidité et le désir d’amasser une fortune en peu de temps la poussent à commettre certains actes atroces. La fin ne justifie pas toujours les moyens me direz-vous avec raison, et ce que cette mère est capable de faire pour conserver la ferme de son défunt mari et assurer une bonne vie à ses enfants est en effet horrifiant. C’est au crédit de l’excellente Suliane Brahim que nous parvenons à éprouver de l’empathie pour un tel personnage, parvenant à un équilibre mesuré entre sa dévotion maternelle palpitante et cette vulnérabilité de ceux qui ne veulent pas partager leurs problèmes avec les autres, avec en plus un côté perturbant et dangereux.

Alors voilà… vous avez maintenant les ingrédients entre les mains pour décider. Et je ne résiste pas à terminer en reprenant le titre de cette critique : L’horreur est dans le pré… cours-y vite !