La Passion de Dodin Bouffant, réalisé par Tran Anh Hung avec Juliette Binoche et Benoît Magimel met la gastronomie française à l’honneur au Festival de Cannes. Un vrai film d’amour, de sentiments et d’émotions tant dans la relation romantique entre un homme et une femme que vis-à-vis de la cuisine.
Eugénie (Juliette Binoche), cuisinière hors pair, est depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin (Benoît Magimel). Au fil du temps, de la pratique de la gastronomie et de l’admiration réciproque est née une relation amoureuse. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle.
Les films à Cannes s’enchainent, nous faisant passer – sans parfois le moindre sas de décompression possible si ce ne sont les quelques minutes de queues et d’installation dans une autre sale (parfois la même) – d’un drame à une comédie, d’un film en costumes à un documentaire contemporain, d’un film où l’on sommeille un peu (parfois beaucoup, quelquefois même énormément) à un autre où tous nos sens sont en éveil.
Une lettre d’amour à la gastronomie
C’est justement dans cette dernière catégorie que je classerai La Passion de Dodin Bouffant, ou The Pot-au-Feu dans son titre anglophone, le nouveau film du réalisateur franco-vietnamien Tràn Anh Hùng, qui pile trente ans après avoir reçu la Caméra d’Or à Cannes avec L’odeur de la Papaye verte, y revient pour offrir une lettre d’amour à la gastronomie, mais aussi une véritable ode à la vie et au cycle des saisons.
Et tout commence justement dans la lumière gris-rose de l’aube, Juliette Binoche traverse un potager verdoyant, coiffée d’un chapeau de paille aussi large et ondulant qu’une vague de l’océan. Elle cueille un céleri-rave majestueux, le renifle profondément et avec tendresse, comme si elle inhalait une ambroisie mythique, et le ramène à la maison.
Chorégraphie culinaire
Puis, nous entrons en cuisine, avec une première demi-heure absolument exquise, un véritable ballet, une chorégraphie culinaire, quasi dépourvue de véritables dialogues (si ce n’est quelques mots de part et d’autre), qui met en scène Eugénie le bras droit du grand chef Dodin, en train de préparer un repas à multiples plats.
Au travail absolument stylistique remarquable de Anh Hùng, s’ajoute la substance qui est l’œuvre du « directeur gastronomique » du film, Pierre Gagnaire, et du « conseiller culinaire » Michel Nave, deux chefs triplement étoilés au Michelin qui ont travaillé ensemble pendant des décennies et qui ici ont dirigé toutes les confections de plats, des plus raffinés jusqu’à l’a priori simple et rustique Pot-au Feu (qui là quand même prend des allures assez exceptionnelles) ou une classique mais si subtile omelette pour un petit déjeuner.
Le menu comprend des carrés de veau saignants et frémissants, des écrevisses, un sublime turbot, un vol-au-vent géant et une omelette norvégienne flambée avec panache (et je ne vous parle pas des vins qui accompagne) – le tout filmé par le photographe Jonathan Ricquebourg avec une intimité tactile, proche de la chair, et qui savoureusement dit quelque chose des personnes qui préparent ces plats telles des œuvres d’art, avec des casseroles et marmites en cuivre et tout le matériel qui lui aussi, quelque part, ajoute de la beauté à celle qui déborde déjà de toute part. Il y a du bonheur à l’écran, un profond sentiment de bien-être intense.
Car La Passion de Dodin Bouffant est peut-être avant tout un éloge de l’émotion – celles que l’on voit, visibles et invisibles, chez les personnages et celles que l’on ressent soi-même, dans notre fauteuil, heureux bénéficiaires que nous sommes alors.
Le rythme est luxueusement lent mais méthodique, à la façon de la cuisson toute tranquille et harmonieuse d’un bœuf bourguignon, mais aussi accéléré par les récompenses graduelles du processus : cette satisfaction apaisante que l’on éprouve en regardant des gens extrêmement compétents travailler avec amour. « Qu’as-tu ressenti quand tu as mangé la première bouchée de cette omelette norvégienne ? » demande Eugénie à la jeune Pauline « J’ai eu envie de pleurer » répond-t-elle. Tout est dit…
Et puis, avec la cuisine, viennent aussi tant d’autres belles choses pour dire la vie. Je pense à la conversation qui est ici un élément moteur du récit, un véritable art à part entière. Ce sont des enjeux de transmission et de partage.
Et puis il y a la communion et l’amitié qui peuvent passer par des goûts communs, comme entre ces hommes qui mangent à la table de Dodin, mais qui va aussi au-delà et s’éprouve, notamment dans les moments de souffrance et de perte. Et enfin, l’amour, car La Passion de Dodin Bouffant est une grande et belle histoire d’amour.