Méliès. Pasolini, Cavalier et maintenant Cédric Kahn…  Il n’est pas besoin d’être croyant pour approcher la foi derrière une caméra, pour coucher sur pellicule ce qui touche à l’expérience spirituelle, à l’invisible…

Thomas a 22 ans. Il est héroïnomane et cherche à échapper à son addiction. Pour sortir de sa dépendance, il rejoint une communauté catholique isolée dans la montagne et tenue par d’anciens drogués qui se soignent notamment par la prière. Il va y découvrir l’amitié, la règle, le travail, l’amour et la foi…

Cédric Kahn signe ici un film de très belle facture avec une grande délicatesse tant technique que scénaristique et avec également beaucoup de respect dans son approche de la religion. Cette histoire n’est pas pour autant sage ou plutôt mièvre mais choisi d’affronter la difficile réalité d’une sortie de dépendance avec ses manifestations physiques et psychologiques. Elle ne fait pas non plus l’impasse sur les échecs et les souffrances. Cédric Kahn parle de tout ça mais sans excès et se fixe davantage sur, ce que j’appellerai, les facteurs de transformation. Car dans tout cheminement, comme celui de Thomas, il y a des événements, des rencontres, des circonstances particulières qui sont des clés à la transformation, à la conversion pourrait-on ajouter en la circonstance. Ils seront là, par exemple, repérés dans la relation avec Sibylle, dans la remise en question énergique de sœur Myriam, dans la présence et les mots de Pierre, devant la mort d’un compagnon, dans un face à face avec la poudre blanche ou seul dans la montagne confronté à la douleur. Tous ces facteurs de transformations deviennent donc des instants clés du parcours de Thomas et peuvent nous renvoyer aux nôtres. Ils sont des moments précieux de ce film qui lui donnent une vraie puissance émotionnelle.

Justement, on appréciera le talent de Cédric Kahn pour filmer aussi justement les détails du récit, donnant une quasi dimension de documentaire immersif à son œuvre. Je pense ici aux gestes simples du travail, aux pratiques spirituelles dont celles de la prière, à ce moment délicieux de témoignages pluriels lors de la fête d’été mais aussi aux moments de détente avec chants et guitare entre jeunes cabossés cherchant à se reconstruire.

Si le film s’appelle La prière, il est clair que la spiritualité est au cœur de ce récit initiatique que l’on pourra sans peine identifier comme une forme de parabole. Il sera ici question de foi, de miracle, de vocation, de cette hésitation légitime entre plusieurs trajectoires possibles. Il est particulièrement intéressant d’avoir ce récit venant non d’un chrétien militant mais de quelqu’un qui se définit lui-même comme agnostique et qui travaille le sujet donc dans une approche neutre mais respectueuse, considérant, pour reprendre un extrait d’interview, que « si on y pense, tout est question de foi dans la vie, l’amour, la passion, l’engagement ». On notera aussi qu’ici, même si la dimension spirituelle est un outil précisément actif dans la « guérison » de ces jeunes, la conversion ne va pas de soi… elle est possible, elle est offerte mais elle ne s’impose pas… comme dans la vie. En s’installant dans cette communauté chrétienne, La prièredevient également un plaidoyer pour l’importance essentielle des règles et des cadres dans la construction individuelle, tant pour soi donc que vis-à-vis de la relation aux autres, de la construction d’une communauté. Une façon de vivre qui l’emporte sur une soi-disante idée de liberté de se camer, de maltraiter les autres, de les exploiter. Enfin, si ici la communauté est catholique avec une théologie propre à cette confession pour accompagner le travail avec ces jeunes, on pourra penser plus largement aux nombreuses œuvres chrétiennes diverses, et protestantes notamment, qui s’impliquent dans ce combat pour la vie et l’amour du prochain.

Mais un bon film est aussi fait de bons acteurs et Cédric Kahn révèle ici plusieurs jeunes comédiens vraiment excellents avec en première ligne Anthony Bajon, dans le rôle de Thomas, qui a largement mérité son prix d’interprétation à la Berlinale. À ses côtés, c’est en fait le collectif qui l’emporte. Une sorte de justesse générale qui permet d’ailleurs de donner force et sens à la communauté formée par ces jeunes. Et puis, encore un peu plus à côté, la très jolie Louise Grinberg, sorte de souffle rafraichissant en la personne de Sibylle, ou bien la courte mais énergique apparition de la grande Hanna Schygulla dans le rôle de Sœur Myriam.

Pour terminer, certains pourront sans doute reprocher une sorte de facilité dans la conversion de Thomas, mais c’est aussi ça la foi finalement. Elle se manifeste parfois brusquement sans logique humaine, avec une capacité à nous dérouter… et elle ne s’explique pas. C’est peut-être ça aussi la réussite de La prière avec, en cerise le gâteau, une fin ouverte que je ne vous spoilerai pas mais qui me convient tout à fait personnellement.