Il y a des films qui emportent, des récits qui élèvent, des histoires qui nous accompagnent longtemps après la projection. La Réparation, le nouveau long-métrage de Régis Wargnier, qui signe ici son grand retour onze ans après Le Temps des aveux, appartient à cette catégorie précieuse du cinéma romanesque, dans la plus noble acception du terme.

À l’origine de La Réparation, il y a une disparition. Celle de Paskal Jankovski (Clovis Cornillac), grand chef breton, mystérieusement volatilisé en forêt avec son second lors d’une partie de chasse. Sa fille Clara, incarnée avec intensité par Julia de Nunez, se retrouve seule aux commandes du restaurant. Deux ans plus tard, une invitation énigmatique venue de Taïwan la pousse à traverser le monde. Elle y croisera un chroniqueur gastronomique (Louis-Do de Lencquesaing) et un chef aux gestes habités de silence et de mémoire (J.C. Lin). De fil en aiguille, et de plat en saveur, la quête du père devient aussi celle d’elle-même.

On retrouve dans ce film les grands thèmes chers à Régis Wargnier : la filiation, l’héritage, le combat intérieur et cette idée profondément évangélique que toute blessure peut, en vérité, devenir lieu de révélation.

Une héroïne ardente, un souffle romanesque

Clara est l’archétype wargnierien par excellence : une jeune femme écartelée entre le devoir et le désir, entre la fidélité à son père et l’appel de sa propre vérité. Le jeu habité de Julia de Nunez (révélée dans Bardot en 2023) donne à son personnage une densité rare. Elle est à la fois fragile et forte, en quête et en fuite, portée par cette fougue de la jeunesse que le cinéaste filme avec tendresse. Le romanesque, chez Wargnier, ne rime jamais avec mièvrerie. Il est cet élan, cette ardeur de l’âme qui pousse ses personnages à affronter les règles, les conventions, et parfois même leurs propres limites. Dans La Réparation, comme dans Indochine ou Une femme française, les femmes sont des figures de courage et d’amour. Elles ne plient pas sous le poids des tragédies : elles y répondent avec passion. Leur liberté s’arrache dans l’épreuve, et cette lutte-là n’est jamais vaine.

Une mise en scène incarnée, des décors comme des âmes

On ne soulignera jamais assez combien le cinéma de Régis Wargnier est un cinéma de la beauté — mais d’une beauté incarnée, traversée, parfois blessée. Les paysages bretons sont filmés avec un amour presque charnel. Les scènes à Taipei, baignées de lumière et de mystère, nous plongent dans un ailleurs à la fois réel et onirique. Le travail de Renaud Chassaing à la photographie sublime chaque lieu, leur donnant une âme propre, comme des échos aux mouvements intérieurs des personnages.

La gastronomie, fil rouge du film, devient langage de la mémoire, véhicule du pardon. Comme si les goûts pouvaient dire ce que les mots taisent.

À travers ces plats, c’est toute une histoire qui remonte, des blessures qui s’ouvrent à nouveau, mais aussi des ponts qui se reconstruisent. À ce propos, Régis Wargnier explique ce choix scénaristique de la sorte : « Le goût est par essence un voyage, il peut devenir un partage. Et j’ai imaginé alors que la piste empruntée pour l’enquête serait celle de la mémoire des saveurs et du goût. »

Un film habité par l’idée de grâce

Au cœur du récit, il y a cette question qui résonne profondément : que signifie réparer ? Comment faire face à l’absence, à la culpabilité, à ce qui semble irrémédiable ? La Réparation propose une réponse qui n’est ni simpliste, ni désespérée. Elle passe par l’écoute, par le silence, par le pardon. Le film avance ainsi avec pudeur, guidé par une musique sensible et délicate du remarquable compositeur italien Romano Musumarra, qui épouse chaque battement du récit.

C’est un film que l’on peut lire avec des yeux de croyant. Parce que, sans jamais le dire, il parle d’un salut possible. D’un amour plus fort que la disparition. D’un mystère plus vaste que la douleur. Il y a, dans ce voyage intérieur de Clara, un écho discret au cheminement spirituel. La lumière n’éclaire pas tout, mais elle suffit parfois, simplement, pour faire un pas de plus.

Un cinéma rare, essentiel

À l’heure où le cinéma français peine parfois à croire encore au romanesque, Régis Wargnier signe un film profondément classique, et donc profondément moderne. Classique par sa forme, soignée, élégante, habitée. Moderne par sa manière de parler à chacun, de toucher à l’universel à travers l’intime. La Réparation est une œuvre d’une grande noblesse, qui nous rappelle que les blessures ne sont pas des impasses, mais des lieux d’ouverture. Qu’il est possible de guérir, de se relever, de continuer à aimer.

À une époque saturée d’images violentes ou cyniques, ce film est un véritable baume. Et c’est peut-être cela, aussi, le rôle du cinéma : consoler, éclairer, relier. Offrir un chemin. Comme le dit l’une des plus belles répliques du film : « Le silence, c’est une ouverture » Merci à Régis Wargnier d’avoir entrouvert, pour nous, une si belle porte.