Le mot seul engendre les rugissements de l’esprit. Dites « La mer », et la divagation vous entraîne: bôme, cabestan, drisse, grand-voile…on connaît de Charleville un adolescent qui se voyait bateau. Pourtant la mer exige, oblige, domine. Aussi bien ceux qui se lancent à sa rencontre doivent-ils avant tout se former. Longtemps la connaissance des flots s’est appuyée sur la pratique, un empirisme séculaire. Les techniques modernes d’observation du monde, à partir du XVIIème siècle, ont modifié le rapport à la mer. L’avènement de cette culture scientifique, dans un milieu où régnait l’expérience et l’instinct, tel est le sujet du nouvel ouvrage d’Olivier Chaline, « Apprendre la mer » (Flammarion, 235 p., 21,90 €).

« Je n’ai pas voulu construire une étude classique, mais donner à comprendre le parcours suivi par les marins Français, nous explique Olivier Chaline. Cet essai prend place, de surcroît, dans un contexte universitaire, celui de l’Institut de l’Océan, qui associe la Sorbonne, la Marine Nationale et l’Ecole Navale, où travaillent des experts de toutes les disciplines- la biologie, la littérature, l’analyse militaire. »

Amarinons-nous

Amarinons-nous, suivant le joli mot qui désigne l’acquisition d’un savoir essentiel à toute aventure maritime.

Au temps des Louis – XIII, XIV, XV- la vie sur les bateaux ne relève pas de la sinécure. « Apprendre la mer, c’est être confronté à la démesure de la nature, à la puissance des éléments : l’eau, l’air, la terre aussi, pas toujours visible, le feu parfois, écrit notre historien. Même la cathédrale de bois qu’est un gros vaisseau surpeuplé n’est qu’un point au milieu de l’océan, sous le ciel. »

En quelques jours à peine, celui qui veut partir en mer comprend que le navire et les flots l’adoptent ou le rejettent. Par tous les temps, chacun doit savoir marcher sur le pont, grimper jusqu’au sommet du mât, quand tout tangue.

« L’Etat monarchique, soucieux de développer marine royale et activité commerciale, s’est saisie de la question, écrit Olivier Chaline. Il a fixé de nouvelles règles, imposé de nouveaux objectifs. Les gens de mer s’y sont plus ou moins conformés. Désormais, apprendre veut davantage dire aller à l’école. »

On aime la passion de l’auteur pour une culture qu’il a d’abord acquise au contact des archives.

« Depuis mon plus jeune âge fasciné par la mer, comme tout le monde, je possédais une connaissance livresque de cet univers, explique l’historien. Voici dix ans, j’ai eu la chance d’embarquer sur une goélette de la Marine nationale. Quelles merveilles se sont alors offertes à moi- passés, je l’avoue, les premiers jours de nausées. Pour n’en citer qu’une, j’ai goûté pleinement la splendeur et le tourment du Raz Blanchard, courant de marée au nord-ouest du Cotentin, qui vous laisse passer si vous arrivez au bon moment, vous refoule si vous ne le prenez pas dans le bon sens. A chacun je souhaite de vivre de telles découvertes.»

Expérience humaine des plus puissantes, la navigation n’a pas laissé les protestants à quai.

« La question religieuse, comme bien d’autres, n’apparaît pas de manière explicite sur les registres maritimes, observe encore Olivier Chaline. Nous savons qu’à la fin de la journée, venait souvent le temps de la prière. On peut imaginer que le capitaine, à la semblance d’un père de famille, pouvait la diriger. Bien sûr, à La Rochelle ou Dieppe, on trouvait des équipages aux capitaines huguenots. Nous pouvons penser que ceux-ci organisaient des cultes Réformés. Sur les navires de grand tonnage, on embarquait un aumônier, catholique évidemment. Nous n’avons pas connaissance d’affrontements. La coexistence entre les marins des deux familles chrétiennes a pu se vivre de façon pacifique.»

La Révocation a ouvert le temps des galères. Une époque de souffrances, d’humiliations, mais aussi de destinées étonnantes : Olivier Chaline évoque un aumônier catholique, impressionné par la fermeté des galériens calvinistes, qui a choisi de devenir à son tour huguenot.

Pirates et corsaires seraient-ils en vogue ? La revue L’Histoire leur consacre un dossier passionnant. « Il y a des images d’Epinal : Rackham, qui inspira Hergé, ou Edward Teach, alias Barbe-Noire, dit « le diable des mers », réputés pour mener l’assaut avec des bougies allumées dans les cheveux » souligne l’éditorial du magazine. Avez-vous le cœur et l’esprit tournés vers le voyage? Alors, comme ce fut le cas voici quelques mois, l’auteur de ces lignes – qui n’a jamais chaloupé que jadis, en des excès de jeunesse- vous invite à découvrir les vertiges du grand large.