L’Afrique ? Un mot valise qui donne des fourmis dans les jambes aux enfants rêveurs- gomme Éléphant, girafes en peluche ou lion que l’on prend pour un roi- qui fait surgir une littérature enchanteresse- on se souvient du prix Goncourt 1976, Les Flamboyants, de Patrick Grainville- enfin provoque des conversations passionnées sur la persistance de la domination européenne, que l’on baptise « néocoloniale » ou « Françafrique ».
On a beau savoir l’extrême diversité culturelle, ethnique et politique de ce continent, les clichés perdurent à l’infini chez nous. Le journaliste Vincent Hugeux, longtemps journaliste à l’Express, enseigne aujourd’hui à Sciences-po. Il publie, avec « Tyrans d’Afrique » une galerie de portraits saisissants, de Gnassingbé Eyadéma jusqu’à Issayas Afeworki, en passant par Amin Dada, Bokassa, Mugabé
. Son ambition ? Décrypter le rapport au pouvoir des chefs d’Etats africains mais, davantage encore, déceler des raisons d’espérer.« Au fil de mes reportages, pendant plus de trente ans, j’ai repéré des invariants en terme d’accès et de maintien au pouvoir des dictateurs africains, souligne Vincent Hugeux. Filiation incertaine, jeunesse tumultueuse,
appartenance à une communauté minoritaire, tels sont les ingrédients qui les constituent, leur donnent un appétit de vengeance sur le sort. A cela s’ajoute, pour les hommes de pouvoir des deux premières générations, des relations très étroites avec la puissance coloniale.» Autre point commun : la dérive paranoïaque. Après avoir éliminé leurs opposants de manière sanguinaire, les chefs d’Etat africains fabriquent des complots de toutes pièces afin de justifier la répression permanente, le report des élections, puis l’organisation de scrutins tronqués.
Lenteur des processus de rébellion
Mais si l’on réfléchit plus loin que le bout de son nez, force est de constater que ce comportement politique n’est pas l’apanage des dictateurs d’Afrique. Inutile d’invoquer Hitler, Mussolini, Staline pour faire comprendre qu’en Europe aussi nous avons connu de telles dérives sanguinaires. Alors, pourquoi se focaliser sur ce continent-là ? « Eh bien justement, j’ai voulu réfuter la théorie essentialiste suivant laquelle il existerait une malédiction africaine, explique Vincent Hugeux. Pour avoir travaillé sur la Roumanie du temps de Ceausescu, l’Irak de Saddam Hussein ou la Syrie des Assad, je suis bien placé pour savoir que les éléments d’une trajectoire tyrannique sont universels. »
Dès lors, on peut se demander pourquoi les peuples africains ne parviennent pas à se libérer de leurs dictateurs. Selon Vincent Hugeux, la question clanique est essentielle pour comprendre la lenteur des processus de rébellion : « Si vous prenez ce qui se joue au centre du Mali, ce qui fait le succès de certaines mouvances djihadistes, ce n’est pas seulement ce n’est pas seulement la violence atroce, mais la faillite des Etats ; les ethnies et les clans, manipulés par les groupes religieux terroristes s’engouffrent dans le vide béant d’administrations inefficaces. » Pour autant, Vincent Hugeux constate l’émergence d’un appétit démocratique. « Vouloir assigner les sociétés de ce continent à leurs chefs d’Etat de caricature est scandaleux, dit-il. Le fossé n’a cessé de se creuser entre les régimes encore en place et la jeunesse du continent. Certes, les tyrans dominent encore la scène, mais pour combien de temps ? Le prix politique et économique de leur présence au pouvoir est de plus en plus lourd à payer, leur avenir de plus en plus incertain. La manière dont le président Ouattara, en Côte d’Ivoire, engage actuellement des négociation avec ses opposants illustre cette évolution positive. »
Pour conserver leurs privilèges et faire jouer la concurrence avec les anciennes puissances coloniales, nombre de tyrans se sont tournés vers la Chine. C’est ce qui fait croire à nombre d’entre nous que la ce géant, sans trop de scrupules mais avec une efficacité remarquable, met en place, enfin, les spectaculaires infrastructures que nous n’avons cessé de promettre sans jamais les construire. Là encore, Vincent Hugeux nous invitent à la lucidité. « Nous sommes prisonniers de notre sentiment de culpabilité, regrette-t-il. En terre africaine, le projet chinois est à la fois totalitaire et d’essence coloniale. L’attrait de la coopération chinoise pour un despote, c’est l’indifférence des investisseurs à l’égard de la répression politique; mais c’est un marché de dupe, car l’endettement de son pays prend des proportions gigantesques et l’asservit dans des proportions qui dépassent l’entendement. »
Si le climat général demeure incertain, Vincent Hugeux souligne le rôle positif des Eglises. Accompagnant les aspirations démocratiques, elles participent, autant que possible, au contrôle des processus électoraux. « Bien sûr, les structures messianiques dont les pasteurs autoproclamés n’ont d’autre ambition que l’enrichissement personnel peut nous inquiéter, admet Vincent Hugeux. Mais c’est encore au sein des Eglises que les populations africaines en détresse trouvent une écoute, un soutien. Très présentes dans les missions d’observations quand des processus électoraux se déroulent, les autorités catholiques et églises protestantes jouent un rôle crucial dans l’émergence d’une alternative politique. » Espérons que les analyses de cet expert, recueillies par un novice en la matière, suscitent la curiosité, le débat, la découverte.