Avec son air… Comment dire ? Assez peu facétieux ? Travailleur ? Un peu terne ? Allez, ne tergiversons pas : calviniste et puis voilà, François Guizot ne respire pas la gaudriole. Mais que nous importe. Est-il indispensable de sourire pour séduire ? Evidemment non. Pourtant, nombre de nos concitoyens – quand ils connaissent à la fois son nom, son œuvre – pensent que François Guizot (1787-1874) manquait de panache, de grandeur et pour tout dire de style. Dédaignons ces malveillances. Le fils d’un avocat (dont le propre père était pasteur au désert) et d’une femme que l’on surnommait la « Mère des Cévennes », possède à plus d’un titre le droit d’être chez nous célébré. Notre cher Laurent Theis, lui-même historien reconnu, mais aussi calviniste et tennisman – il est en effet possible de cumuler certaines qualités – publie chez Perrin les souvenirs du grand homme, intitulés « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps » (576 p. 28 €). Quiconque a tant soit peu l’esprit de curiosité doit, séance tenante, se précipiter chez son libraire.
Deux mots du titre pour commencer, qui sonne comme une invite au partage plutôt qu’à l’autosatisfaction : Guizot témoigne pour ses contemporains, pour les générations à venir, sans pour autant s’imaginer la postérité glorieuse d’un Rousseau. Sa formation de médiéviste l’a profondément guidé. Voilà pourquoi son livre ne ressemble guère aux souvenirs traditionnels. « Alors, Mémoires ou mémoires ? Interroge Laurent Theis. Certains documents ne relevaient pas du premier genre stricto sensu ; mais ils avaient en commun, pour la majorité d’entre eux, de relater la vie d’hommes illustres –Dagobert Ier, Louis le Pieux, Robert le Pieux, Louis VI le Gros, Philippe-Auguste… – et pour presque tous d’avoir été rédigés par des contemporains des événements rapportés. (…) Cette fréquentation quasi-professionnelle de Mémoires par l’historien qu’il ne cessa jamais d’être contribua sans doute à conduire Guizot à envisager la rédaction des siens propres. »
Un regard panoramique sur l’histoire
Le récit des événements politiques est ici détaillé : la Restauration, la Révolution de Juillet, mais d’une façon thématique ; passant de l’analyse d’une première Instruction publique au procès des ministres de Charles X, du récit d’une ambassade au tableau de la société anglaise en 1840, Guizot vous embrasse une époque avec hauteur de vue, regard panoramique, et même un peu d’humour. Il n’écarte pas non plus des pensées personnelles, jugements sur les hommes dont la qualité marque. « Soit que les regards s’arrêtent sur la vie d’un homme ou sur celle d’un peuple, il n’y a guère de spectacle plus saisissant que celui d’un grand contraste entre la surface et le fond, l’apparence et la réalité des choses, écrit-il. La fermentation sous l’immobilité, ne rien faire et s’attendre à tous, voir le calme et prévoir la tempête, c’est peut-être, de toutes les situations humaines, la plus fatigante pour l’âme et la plus impossible à surmonter longtemps.»
Le combat politique et les tourments intimes, en lui, se mélangent, reflet d’une génération pour qui les sentiments peuvent, sans nuire à la Raison, mener l’action publique. En cela Guizot reste fidèle à son époque. Il se montre un orateur pugnace, redouté, mais lucide. Le récit qu’il donne de la politique Française en Algérie le montre attaché à la politique de grandeur mais lucide sur les projets en cours.
Dans quelle mesure un tel volume peut-il inspirer nos concitoyens ?
D’abord en faisant prendre conscience du fossé qui sépare les élites actuelles de celles d’autrefois : l’imaginaire de nos énarques n’a plus rien à voir avec celui des rois, des princes ou de leurs conseillers, fussent-ils d’éminents écrivains. Mais avons-nous besoin de le vérifier ? La réponse est dans la question. En revanche, les relations humaines et, de façon plus large, sociales demeurent, à défaut d’être identiques, au moins comparables, ce qui justifierait que l’on parle d’une société Guizotiste ou Guizotienne autant que d’une France Balzacienne. Enfin, soulignons que ce beau livre ouvre une fenêtre sur le monde libéral au meilleur sens du terme, c’est-à-dire une pensée rigoureuse, exigeante et généreuse, fondée sur la droiture à l’endroit des principes, et non sur des intérêts mal placés. Par exemple aux Caïmans…
A lire : François Guizot : « Mémoire pour servir à l’histoire de mon temps » (Perrin, 576 p. 28 €)