Ce n’est pas une terre à vin, noix, floraisons d’oliviers. L’Aigoual y est à gravir en soi-même, la folie sous la pudeur y tient la place d’une seconde religion. Le Pas-de-Calais, comme le Nord, imprime depuis toujours à ses enfants ce drôle d’accent, chanson d’estaminets, berceuse décalée, qui paraît conçue pour habiter les silences. De Gaulle était de là-bas. Charles Delestraint, général d’active devenu chef de l’Armée secrète aussi. Personnage émouvant que ce soldat, né à Biache-Saint-Vaast le 12 mars 1879, mort à Dachau le 19 avril 1945, dur au mal, aboyeur au point qu’il s’était fait réaliser un bâton de commandement orné d’une tête de chien.

Jean Bourcart lui consacre un très beau livre : « Le général Delestraint, La Résistance : de l’Armée secrète à Dachau » (Perrin 368 p. 24 €). L’occasion de rendre hommage à celui qui, le 9 juin 1943, quelques jours avant le piège de Caluire, tomba dans les griffes de l’Occupant

Voici l’histoire d’un catholique de droite. Un catholique à toute épreuve. « En effet, Marie-Antoinette [sa mère NDLR], issue elle-même d’une famille très croyante, attache une grande importance à la religion catholique que son fils sa vie durant, gardera à cœur de pratiquer avec conviction, mais aussi discrétion, jusqu’aux moments les plus dramatiques de son existence, écrit Jean Bourcart. Baptisé à Biache Saint Vaast le 21 avril 1879, il fait sa première communion en la chapelle du pensionnat Sainte Marie dans le Vieux-Lille, le 1er juin 1890. » Pour la droite, pas de doute non plus : Delestraint n’est pas le type à soutenir le Cartel des gauches et le Front Populaire.

On ne compte pas les soucis de santé qu’il connaît pendant sa carrière militaire. Mais il traverse la Grande guerre et devient l’ardent partisan des chars, on veut dire des divisions blindés. Cette obsession judicieuse, il la porte jusqu’au printemps de 1940. « Faisant preuve d’une détermination toujours aussi alerte pour défendre ses idées, note Jean Bourcart, il manifeste une liberté de ton peu commune au sein des Etats-majors en critiquant une règlementation trop rigide et en partie surannée de l’emploi des chars et une organisation défectueuse des unités dans lesquels ils sont répartis. » Sous ses ordres, le colonel de Gaulle freine l’avancée des Allemands lors de la bataille de Montcornet. Mais la débâcle, mais Pétain, mais l’armistice… Tout tourne de travers en ce moment tragique.

Démobilisé, Delestraint reste discret, s’installe à Bourg-en-Bresse puisque le Nord et le Pas-de-Calais sont des zones interdites. Mais il n’est pas résigné. Sans cesse il noue des contacts avec d’autres officiers, critique, déplore, espère. Il est une première fois mis en garde par les autorités de Vichy pour avoir tenu des propos négatifs à l’endroit du Maréchal. Ce n’est pas cela qui va l’arrêter.

Contacté par la Résistance, il rejoint la France Libre et se place sous les ordres de son ancien subalterne : de Gaulle nomme Delestraint chef de l’Armée secrète. Aux côtés de Max ou Rex, alias Jean Moulin, c’est lui qui est chargé de rassembler les groupes para-miliaires des mouvements de la résistance intérieure sous le nom de code de Vidal. Une alliance des contraires en apparence, un attelage en vérité fondé sur l’estime réciproque et la confiance. 

On devine les jalousies, les fureurs endurées. Delestraint mène l’entreprise avec détermination, mais l’année 43 scelle son sort, quelque jours avant le rendez-vous de Caluire. « De bonne heure, le 9 juin, peut-être après une messe matinale à Notre-Dame-d’Auteuil, Delestraint poste sa carte pour Bourg-en-Bresse et part à son rendez-vous, seul, sans escorte, écrit Jean Bourcart. Il doit rencontrer Hardy (« Didot ») puis retrouver Gastaldo et Jean-Louis Théobald, un agent de liaison de Cordier, avant de rejoindre la mairie près de la rue de la Pompe. Aux abords de la station de La Muette, qu’il a rejointe très probablement à pied, il ne se méfie pas lorsqu’un homme, en l’occurrence Moog, l’aborde et lui propose de voir Didot dans un endroit plus sûr. Croyant avoir affaire à un compagnon de l’ombre, il le suit jusqu’à une voiture où des agents de l’Abwehr se saisissent de lui sans ménagement. »

Ces noms qui valsent, vous ne les connaissez qu’en partie. Seule ici compte le récit du guet-apens. La suite, vous la lirez peut-être : questionné pendant plus de cinquante heures, l’officier finit par avouer qu’il est le chef de l’Armée secrète. Il est interné, puis envoyé à Dachau, trouve la mort dans des circonstances inattendues… Mais souvenez-vous qu’un aboyeur éclairé par une intense foi, rigide si l’on veut, tendre sous la glace, a su donner ce qu’il avait de meilleur au service de la France.

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