Au lendemain de la « Grande Guerre » la France se dota d’un dispositif mémoriel pour un travail de deuil à l’échelle de la nation : monument aux morts dans chaque commune,  nommant chacun des 1 350 000 soldats tués ; 11 novembre férié, avec cérémonie locale dupliquant l’hommage rendu à l’Arc de Triomphe. Cette commémoration peut se lire comme une liturgie républicaine et laïque, dans une démarche religieuse (au sens étymologique : « ce qui relie les membres d’une communauté »), en mobilisant une symbolique du sacré. 

Le soldat inconnu fut choisi par un jeune soldat pupille de la nation et benjamin de la mobilisation : placé à Verdun devant huit cercueils de soldats non identifiables, il additionna les trois chiffres de son régiment (le 132RI) et déposa une gerbe devant le sixième cercueil, aussitôt transféré à Paris. Depuis 1923, une flamme perpétuelle brûle devant la dalle de ce soldat inconnu, en signe d’immortalité.

Avant 1914, la société française s’était déchirée, lors de l’affaire Dreyfus ou de la séparation des Églises et de l’État en 1905. La guerre avait rapproché dans les tranchées des France rivales et la manière de choisir le soldat inconnu assumait qu’il soit un Français croyant en Dieu ou n’y croyant pas, dans le respect de la liberté de conscience. 

À chaque 11 novembre, dans chaque commune, les noms inscrits sur le monument – souvent équidistant de la mairie et de l’église – étaient cités de façon égalitaire, devant les autorités élues, les enfants des écoles et les habitants rassemblés. Ainsi, le 11 novembre est un culte citoyen témoignant de la porosité entre le sacré et le profane, à l’image des convictions majoritaires de la population. Une leçon de laïcité, avec une créativité audacieuse stimulée à l’aune des douleurs subies.

 Jean Loignon, professeur d’histoire-géographie, pour « L’œil de Réforme »

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