L’âge des lumières et des cérémonies, gestes courtois, codes cruels, aube de musique et de foi. Murmurez « Moyen-âge », et soudain le jour se lève pour de vrai. Laissez dormir au loin l’amas des armures et des massues, tourner à vide le manège du choléra, de la peste- au reste, avec les épidémies, avons-nous de nouveau des leçons à donner ? Le Moyen-âge est une gare centrale, une genèse, où l’on peut suivre, ligne après ligne, l’avènement de notre monde. Occidental, oriental, de tous les pôles, un théâtre à rendre fou, mais fou d’amour.
On connaît « Les Chevaliers de la Table ronde ». Enfin… Disons que chacun croit connaître leur histoire : un roi que tout le monde appelle Arthur, une dénommée Guenièvre qui passe pour jolie dame et des soldats fidèles ; tous ont fait vœu de retrouver ce sacré Graal- si l’on en croit l’antique document filmé par les Monty Python. Il faut se raviser. Médiévistes éminents, Martin Aurell et Michel Pastoureau publient chez Gallimard une traduction des différents livres constituant cet enchevêtrement de narrations.
« Les chevaliers de la Table ronde, romans arthuriens » (collection Quarto 1080 p. 34 €) nous offrent comme sur un plateau les versions successives de la geste aux épées.
« L’imaginaire est toujours à la fois le modèle et le reflet de la réalité, notent les deux hommes de science. L’anthroponymie n’échappe pas à la règle. Depuis longtemps les sociologues ont observé comment certains livres, films ou feuilletons télévisés pouvaient exercer une influence circonstancielle sur la vogue des prénoms. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que ce phénomène culturel se rencontre déjà au Moyen-âge. »
Les romans arthuriens connaissant le succès bien au-delà de la noblesse à partir des années 1250, on voit naître des Gauvin, Lancelot, Perceval et Tristan. N’est-ce pas miraculeux ?
Certains pensaient qu’à l’origine de toute cette histoire on trouvait Lucius Castus Artorius, militaire dalmate envoyé du côté de York- il avait dû, le pauvre homme, regretter le climat de son enfance. Mais non… Suivant Aurell et Pastoureau, c’est au cinquième siècle que la légende se forge. » Où ? Quand ? Comment ? C’est un mystère dont les aventures contées par Geoffroi de Monmouth ou Chrétien de Troyes ne cessent d’exhaler le parfum, formidable épopée pour l’été.
Si le goût des voyages vous conduit, du mois de juillet jusqu’au mois d’août, du côté de la Lorraine, du Loiret, du côté même de la Normandie, c’est que la fameuse petite Jeanne a choisi de partir avec vous. Claude Gauvard, professeure émérite à la Sorbonne, dresse le portrait de la bergère qui se vécut prophète.
« Jeanne d’Arc » (Gallimard, 189 p. 18 €) se présente en merveille de clarté, de concision, mise à jour des recherches contemporaines au service du grand public. « La séparation des territoires étai loin d’être simple, écrit Claude Gauvard. Le village de Domrémy, là où se trouvait la maison des parents de Jeanne, ne dépendait pas directement du roi de France. Le seigneur de Bourlémont le tenait en fief du duc de Bar qui, pour cette partie de son duché, devait lui-même prêter hommage au roi. A quelques centaines de mètres de la maison, vers le nord, de l’autre côté du ruisseau des Trois Fontaines, le village de Greux – et quelque habitations du village de Domrémy– relevait lui directement, de la couronne de France. »
Ainsi l’histoire est-elle façonnée par la géographie, le droit, la place des sujets dans un réseau de fidélités. Tout cela nous paraît lointain : loin des ambitions, loin des arceaux des carrières à conduire aujourd’hui. Mais ce Moyen-âge tout vivant, qui palpite en notre cœur, ah oui, vraiment, comment ne pas le saisir ?
En coda, nous vous invitons à vous divertir, à conjurer les horreurs de la guerre, à tourner les batailles à la blague. Avec un humour inspiré de Rabelais, bonne humeur et véritable humilité, Jean Teulé présente « Azincourt par temps de pluie » (Mialet-Barrault, 200 p. 19 €). Du désastre militaire, l’auteur décline le récit sous une forme romancée, qui ne se hausse pas du heaume, et cependant s’appuie sur des faits qu’il veille à vérifier. Le romancier du temps passé s’amuse et nous amuse ; il jongle avec les drames pour ne pas en pleurer. L’essentiel est reconnu, puisqu’il place à l’orée comme à la fin de la bataille un hommage tendre au chevalier-poète Charles d’Orléans (1394-1465), lequel, prisonnier vingt-cinq années des anglais, profita de son exil pour devenir écrivain-poète.
Au sein de l’anthologie d’André Gide, on pioche d’Orléans ces quelques mots :
« Priant à Dieu, qu’avant qu’aye vieillesse/ le temps de paix partout puist avenir/ Comme de cueur j’en ay la désirance/ Et que voye tous tes maulx brief finir/ Trescrestien, franc royaume de France ! »
Il est des rimes qui valent tous les défilés. Quand le soldat vaincu penche son front sur les malheurs du jour, il songe, encore et toujours, au village bouleversé de son enfance. Désirance et France ? A l’invention des mots, la patrie se doit reconnaissance.