Ce film a cette capacité irrésistible de vous dérouter pour mieux vous ouvrir à la réflexion.
Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un camping glamour dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois.
Vivre en harmonie avec la nature
Écrit et réalisé par Ryūsuke Hamaguchi (Drive My Car prix, notamment, du Jury œcuménique à Cannes et Oscar du meilleur film international en 2022), le film a connu sa genèse comme un clip – moyen métrage de 30 minutes destiné à accompagner la musique d’Eiko Ishibashi, une célèbre artiste japonaise, mais Hamaguchi a finalement décidé d’aller plus loin et d’en faire un long métrage.
Il s’agit d’une réflexion intense sur la façon dont la cupidité capitaliste peut causer des changements préjudiciables à l’environnement, même sous des approches ou prétextes qui semblent vertueux.
Un suspense à combustion lente
Il y a quelque chose de captivant qui nous plonge dans un état quasi hypnotique, dans l’approche du cinéaste. C’est sa capacité à transformer cette histoire de lutte entre ces préoccupations de rendement et des intérêts simples de villageois qui fondent un rapport à la nature et à la vie, en un récit plein de suspense à combustion lente, qui laisse entrevoir un « mal » qui semble pourtant rester hors de vue. Résultat notamment d’une mise en scène minutieuse, d’un montage ciselé et d’un rythme, somme tout, très tranquille et apaisant. Enfin du moins, en apparence, car il demeure cette musique obsédante et tout à fait unique d’Ishibashi faite, en particulier, de subtiles dissonances.
Une manière discrète mais efficace de brouiller les pistes pour nous laisser comprendre que l’harmonie apparente n’est peut-être pas si évidente. La sérénité a-t-elle ses limites ? Que peut-il se cacher derrière le regard d’un animal ?
Une référence récurrente aux cerfs blessés qui se battent pour leur vie ajoute ainsi de la résonance à la séquence finale, troublante et ouverte. C’est bel et bien le climax du film qui deviendra alors éclatant, dans tous les sens du terme, même si l’inattendu l’accompagne. Un geste radical qui remet en question tout ce que la morale peut définir de bien et de mal.
C’est à chacun de regarder l’écran et d’entendre au fond de lui ce que son cœur lui dit sur les choix moraux ou encore les conséquences de nos actions. Le mal n’existe pas peut alors accomplir son œuvre… il surprend, déstabilise, déplace, et ouvre à la liberté.
Ce film ne s’adresse évidemment pas aux spectateurs qui aiment être sevrés de messages bien ficelés et même prémâchés. Mais la façon dont le film nous force à réfléchir est sublime, et c’est aussi pour cela que je choisi de rester flou et de vous laisser oser l’expérience d’un cinéma d’un nouveau genre, oser découvrir une œuvre d’une beauté saisissante et paradoxalement implacable !