Un film particulier à 4 jours du premier tour d’un scrutin pas tout à fait comme les autres. On ne votera pas qu’en France, mais aussi, par écran interposé et saut dans le temps, au Bhoutan, là où le Bonheur National Brut est la référence absolue et peut être aussi tout simplement le résumé et le fruit de ce film !
2006. Le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision… et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des « élections blanches ». Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Cependant, dans une province montagneuse reculée, un moine décide d’organiser une mystérieuse cérémonie le jour du vote et charge l’un de ses disciples de trouver un fusil…
Après un premier long métrage L’École du bout du monde nominé dans la section internationale à la 94e cérémonie des Oscars, le cinéaste bhoutanais Pawo Choyning Dorji présente Le Moine et le fusil, une formidable fable satirique politique drolatique qui se déroule en 2006, alors que le Royaume du Bhoutan est en passe de devenir la plus jeune démocratie du monde.
L’expérimentation inédite de la démocratie
Le scénario examine comment les élections blanches à venir dans le pays (et servant à initier au système démocratique), affectent un village et avec lui, un lama, une famille rurale, un fonctionnaire et divers autres personnages, dont les vies se heurtent toutes de manière mineure ou majeure. Une histoire captivante et passionnante, occasion de découvrir la vie dans un pays lointain à la culture très différente de la nôtre (mais qui offre des résonance incroyables avec les temps actuels ici en France… et ailleurs), et les espiègleries que le destin nous concocte, agrémenté d’un sens aigu de l’émerveillement et de l’humour. Ce regard sur la modernité et l’expérimentation inédite de la démocratie, qui se construit visuellement avec charme et élégance, ne tarde pas à nous interroger sur des enjeux bien plus profonds qu’ils ne paraissent.
Nous sommes donc en 2006 au Bhoutan. La population d’un village est en proie à une sorte de révolution moderne qu’elle n’a pas demandée. Le Bhoutan est devenu en effet le tout dernier pays du monde à se connecter à Internet, à autoriser la télévision, et sans doute l’un des seuls pays au monde à introduire la démocratie sans que le peuple ne l’exige ou ne fasse la révolution, mais simplement lorsque le roi a abdiqué de son plein gré pour que son pays et son peuple puissent trouver leur propre place dans le monde. Le peuple doit donc apprendre un nouveau système politique. « Pour être moderne, il faut être démocrate » rappelle l’un des protagonistes.
S’entraîner à aller voter
Pour éduquer la population à ce nouveau système, le gouvernement prépare une série d’élections fictives servant d’entraînement. Les électeurs sont encouragés à applaudir – ou à se moquer – des candidats représentant trois partis réduits à des couleurs : le rouge, le bleu ou le jaune, ayant chacun un programme qui se réduit à une question d’ordre éthique (la liberté et l’égalité, le développement industriel ou la protection de l’environnement).
Il faut voter pour celui qui devrait nous rendre le plus heureux ! Bien sûr, les voisins et les familles sont rapidement divisés sur ces bases politiques. Lors d’un simulacre de rassemblement politique, l’un des organisateurs dit à une foule perplexe « Montrez de la passion ! Vous êtes censés vous mépriser les uns les autres ». Une femme âgée répond alors : « Pourquoi nous apprenez-vous à être impoli ? On n’est pas comme ça ! » Le problème vient en partie du fait que la démocratie est arrivée dans le cadre d’un ensemble d’influences occidentales douteuses. Au café local qui vend de « l’eau noire » (Coca-Cola), les villageois se rassemblent autour d’un poste de télévision pour regarder la bande-annonce du film de James Bond, Quantum of Solace, qui fait des ravages dans ses efforts pour sauver le monde libre. Et puis, il y a l’inquiétant fusil du titre… mais je vous laisse découvrir la suite.
Le film de Dorji, tourné, pour l’essentiel, avec des acteurs non professionnels au milieu d’une abondance de paysages magnifiques, jette un regard sceptique sur le progrès et l’idéologie politique sans prétendre nécessairement avoir des réponses. L’intrigue serpente tranquillement, ouvre toutes sortes de sujets à notre réflexion, et s’en prend de manière subtile et large aux habitants crédules et aux mercenaires, pour se résoudre finalement de manière intelligente la nuit de la pleine lune, avec l’aboutissement du plan du Lama pour « remettre les choses en ordre ».
Que ce Moine et son fusil nous font du bien. Et dans cette quinzaine politique, ce film devrait être un passage obligé avant d’aller voter !