En ce 1er mai, sort (enfin – après 3 années de présentation dans un grand nombre de festivals où il a engrangé un nombreuses récompenses, que ce soit au titre de meilleur film ou de l’interprétation) Le silence de Sibel du réalisateur iranien Aly Yeganeh. Un film choc, témoignage douloureux pour dénoncer les crimes génocidaires dont ont été victimes les communautés yézidis en Irak lorsque les troupes de Daech ont pris possession de leur territoire. Le film a la particularité de s’intéresser aux traumatismes qui en résulte.

Août 2014, à Sinjar, au nord-ouest de l’Irak, chef-lieu des Yézidis.
À 13 ans, Sibel est enlevée par des hommes de Daech, devant sa famille qui est massacrée. Comme des milliers de femmes et de jeunes filles, elle sera réduite à l’esclavage sexuel, torturée et violée parce qu’hérétique pour ses bourreaux.

Uzerche, petite ville du centre de la France.
Ophtalmologiste d’une quarantaine d’années, Hana est la fille d’un propriétaire terrien kurde qui a vécu en France et l’a souvent emmenée dans sa ville natale. Hana a ainsi connu la famille de Sibel qui travaillait sur ces terres. Hana a réussi, contre rançon, à arracher Sibel à son enfer et l’a adoptée. Elles reviennent en France et Hana s’efforce de lui faire une vie « normale », pleine d’amour et d’attention. Pourtant, tout en acceptant cette nouvelle vie, l’adolescente refuse de parler. Ce corps violé et torturé lui fait horreur. Quelle vie, désormais, pour cette jeune fille ?

Une enfance volée

« Le silence de Sibel est le récit une vie sacrifiée, d’une enfance volée, comme des milliers d’autres. Pour seule défense, elle décide de ne pas parler. Le silence de Sibel est l’histoire de la destruction d’un peuple parce que sa foi n’est pas celle de ses bourreaux. Il s’agit d’un génocide programmé dont l’une des armes est le viol systématique des femmes et des filles. Comment raconter une telle tragédie, si réelle, si proche de nous, qui se nomme esclavage sexuel ? J’ai choisi délibérément de ne pas montrer cette horreur, l’acte lui-même. À travers ce regard forgé dans l’enfer de son vécu, ce regard naïf, Sibel nous interroge sur la mort qu’elle frôle à chaque instant. » C’est ainsi que le réalisateur iranien Aly Yeganeh, qui vit et travaille aujourd’hui principalement à Paris, présente son film. Sa manière pour attirer l’attention vers un problème universel, qui est la guerre, où les femmes et les enfants paient le prix le plus élevé !

Cette histoire commence d’une façon totalement insoutenable, mais nécessaire (même si une forme de pudeur accompagne les images pour ne jamais tomber dans le voyeurisme). Nous sommes confrontés à l’horreur d’un enlèvement d’une jeune fille (Sibel) et au massacre de sa famille qui l’accompagne, perpétrés par des fanatiques sanguinaires.

Nous sommes en août 2014 dans la ville kurde de Sinjar au moment où Daech a envahi ce chef-lieu des Yézidis, cette minorité kurde du nord de l’Irak. Considérés par eux comme des mécréants, des centaines de femmes et d’hommes vont être égorgés par les djihadistes, des centaines de filles et de jeunes femmes étant elles enlevées afin de devenir leurs esclaves sexuelles.

Nous  la retrouvons ensuite, plusieurs mois plus tard, auprès de Hana, une ophtalmologiste installée à Uzerche, en Corrèze, qui s’efforce de lui donner un nouveau départ, après avoir pu la racheter pour l’adopter. Sibel est en effet une rescapée des massacres de son peuple mais elle est surtout une victime, qui a été réduite à l’esclavage sexuel, avant de trouver cet asile en France.

Le silence pour survivre

Entre ces deux moments… un vide absolu dans le récit cinématographique proposé intelligemment, à l’image de l’incapacité pour cette jeune fille de s’exprimer (sauf dans certaines situations particulières d’autant plus révélatrices de l’état de son âme – son monde intérieur étant actif, fait de cauchemars liés aux événements dramatiques et éprouvants qu’elle a vécus mais aussi de « dialogues » extrêmement touchant avec sa mère assassinée). Il n’y a rien à voir ou à entendre… car tout se comprend et surtout ce sont les traces qui intéressent le réalisateur.

C’est la grande force du Silence de Sibel, celle de se fixer sur l’après, de scruter les sources d’un traumatisme si violent qu’il ne peut s’oublier, qu’il ne peut même se dire, se raconter, s’extirper du corps de cet enfant, de ses pensées, de son conscient et de son inconscient.

La volonté de sauver

Le Silence de Sibel c’est aussi le récit d’une volonté d’aimer, de sauver. L’expression d’une compassion sincère de la part d’Hana. Le scénario propose une suite de rencontres avec des spécialistes (psychologue, orthophoniste, médecin, assistante sociale, artiste) qui se révèlent toutes, tout autant démunies pour apporter une aide effective à Sibel.

Le désir d’aider, d’aimer, d’accompagner ne suffit pas toujours…

La performance des actrices

L’actrice Laëtitia Eïdo (une comédienne française née de mère libanaise, vue dans Entre deux trains, la série israélienne Fauda ou, plus récemment encore, la série Liaison sur Apple TV+) est remarquable, s’étant vivement investie pour défendre le rôle d’une femme qui s’émancipe d’une relation toxique et qui fait en même temps l’apprentissage du rôle de mère dans des conditions d’urgence. Mais comment ne pas souligner le travail de Mélissa Boros (12 ans au moment du tournage – c’est à dire l’âge de beaucoup de ces jeunes filles enlevées par Daech). Il aura fallu une année pour la préparer, surtout sur le plan psychologique mais le résultat est tout à fait exceptionnel, elle est parfaite dans ce rôle offrant, en particulier, un visage révélant puissamment ces peurs, des crispations passagères, son traumatisme, extrêmement rarement une forme de sourire et son mutisme (qui n’est évidemment pas exempt d’éloquence).

Un film sans concessions qui ne laisse aucune échappatoire au spectateur. À chacun d’estimer s’il est capable d’encaisser une telle accumulation psychologique de souffrance et de chagrin (même si, encore une fois, la pudeur des images est bien là) mais, très sincèrement, je vous recommande vivement d’oser, d’affronter ce voyage à travers le regard d’une jeune fille qui n’a que le silence pour survivre.