À voir actuellement sur MyCanal, L’école du bout du monde (Lunana: A Yak in the Classroom), la petite merveille made in Bhoutan qui a surpris tout le monde l’année passée en étant sélectionné aux Oscars dans la catégorie du meilleur long métrage international. Un film qui s’intéresse à la quête du bonheur, dans ce pays célèbre pour son indice du bonheur national brut (BNB).
Ugyen Dorji (Sherab Dorji) n’a plus qu’une année d’enseignement à effectuer dans le cadre de son engagement obligatoire de cinq ans envers le gouvernement. Mais ce qu’il veut vraiment, c’est laisser tomber la dernière année et immigrer en Australie, où il rêve de devenir une pop-star. Le ministère de l’éducation du Bhoutan n’a pourtant pas la même idée. Il lui demande de terminer son mandat dans le village de Lunana, en haut des glaciers de l’Himalaya, où il dirigera ce qui est décrit comme « l’école la plus isolée du monde ». La pénible randonnée d’une semaine entre sa résidence dans la ville de Thimphu, la capitale du Bhoutan, et Lunana – qui compte 56 habitants – convainc Ugyen, qu’il doit vite trouver un moyen de s’en sortir. L’accueil enthousiaste qu’il reçoit lorsqu’il arrive enfin sur place ne le dissuade pas. Ni les anciens du village reconnaissants, ni les visages rayonnants de ses très jeunes étudiants n’ont d’effet sur lui. En tout cas, pas au début.
La première remarque se situe sur les aspects techniques du film. Il est totalement déroutant de penser que le scénariste et réalisateur Pawo Choyning Dorji, qui fait ses débuts dans le cinéma et a travaillé avec un budget minuscule, ait pu créer quelque chose d’aussi subtil qui a capté l’attention du monde entier. Le film a, en effet, été tourné précisément dans ce village de Lunana, une petite localité montagneuse du nord du Bhoutan (5 000 mètres au-dessus du niveau de la mer). L’électricité y est minime et la petite équipe a dû donc s’appuyer sur des batteries solaires pour recharger le matériel. Cependant, ils n’avaient assez d’énergie que pour une seule caméra et pas assez pour visionner les images d’une soirée. Dorji a plaisanté en disant qu’il s’agissait d’un film rare avec une « empreinte carbone nulle ».
La plupart des acteurs sont de vrais villageois qui n’avaient jamais vu de caméra auparavant. Avec leur culture montagnarde en voie de disparition, ils ajoutent une touche d’authenticité indéniable à ce film poétique et charmant.
Le message de L’école du bout du monde est clair sur la nécessité d’apprécier les choses simples de la vie. C’est aussi le rapport au monde et à l’autre qui est là questionné. Ugyen est accueilli par les habitants de Lunana, qui lui sont immensément reconnaissants d’éduquer leurs enfants. Il passe d’une grande ville animée, où l’on s’ignore les uns les autres, à une communauté soudée où tout le monde se soucie de tout le monde.
Ce changement radical de mode de vie sert de prise de conscience à Ugyen. Il se lie avec les enfants adorables et pleins de bonne volonté et nourrit leur soif d’apprendre. L’électricité est au mieux aléatoire et la principale source de bois d’allumage est la bouse de yak séchée. La salle de classe – qui, va vite abriter aussi un yak – est d’abord dépourvue de tableau noir et de craie. Les outils pédagogiques laissés par son prédécesseur sont rares. Pourtant, comme nous le découvrons avec Ugyen, ces manques sont surmontables. Il y a une scène formidable où la ville se réunit et construit ce fameux tableau noir (qu’ils n’avaient jamais eu auparavant). Un autre moment touchant (parmi tant d’autres), se passe dans cette classe, lorsqu’un enfant dit à Ugyen qu’il veut devenir lui aussi professeur plus tard, parce qu’un professeur peut « toucher l’avenir ».
Car, L’école du bout du monde a quelque chose à dire sur l’école, les professeurs et leur importance dans la société. Il ouvre aussi les yeux sur un pays magnifique mais largement méconnu.
Il parle également de l’émigration et de l’idée qui l’accompagne, à tort ou à raison, que l’herbe est toujours plus verte de l’autre côté. Une réalité que connait tout particulièrement le Bhoutan. Ce petit pays privilégie le bien-être de sa population plutôt que sa croissance économique. Malgré tout, des milliers de Bhoutanais et Bhoutanaises ont quitté le pays ces dernières années à la recherche de meilleures opportunités économiques et de formation. L’Australie, où le Bhoutan a ouvert une ambassade récemment, est la destination favorite de ces personnes qui quittent leur pays. Au Bhoutan, on évoque désormais le rêve australien.
Le film se présente comme une sorte de fable. Une nécessaire dose de tristesse flotte à travers ce récit. Comment pourrait-il en être autrement ? Même si Ugyen s’adapte progressivement à son environnement, il sait – comme les enfants et les villageois – que son séjour de l’été à l’automne se terminera lorsqu’il devra rentrer avant les tempêtes d’hiver. La photographie apporte évidemment un élément supplémentaire dans cette histoire tournée en extérieur.
Les larges panoramas montagneux, drapés de nuages bas, sont absolument resplendissants.
Et pour parachever ce bonheur visuel, lorsque Saldon (Kelden Lhamo Gurung), une jeune femme, éleveuse de yaks, qui se lie d’amitié avec Ugyen, entonne un chant béatifique, celui-ci traverse l’espace comme une douce prière et vient nous rejoindre irrésistiblement.
En fin de compte, le véritable défi de cette histoire se trouve chez notre héros, Ugyen : Il se rend compte que, quelle que soit la distance qui le sépare de Lunana, l’émerveillement mélancolique de ce village sera toujours présent au plus profond de lui. Il en va de même pour l’amour de ses habitants. Leur gentillesse l’a transformé.
Parfois, le bonheur est insaisissable si l’on n’envisage qu’un seul chemin pour y parvenir. Cette mission inattendue va offrir à cet enseignant de nouveaux horizons et une meilleure compréhension de son pays et de sa vie. Elle pourrait bien permettre à nous aussi de voir une fenêtre s’ouvrir pour regarder et entendre autrement, telle une parabole offerte.