Vous aurez été prévenus. Le livre que publie le diplomate Alexandre Labruffe, « Un hiver à Wuhan », (Gallimard, 128 p. 12 euros) ne sent pas que le soufre. Il exhale aussi le chlore, le plastique, le béton surarmé, le délire collectif. Un tableau qui dépeint la Chine contemporaine en enfant-monstre de la mondialisation. Ce récit formidable fait rire d’une triste couleur. Il est conçu par un homme de culture qui ne prend pas la pose, que l’on devine allergique aux idéologues en chambre, et que notre environnement glace un peu, beaucoup, passionnément.
Les romans de Dai Sijie vont vous consoler. Cet écrivain et cinéaste chinois, qui vit pour moitié dans le quatorzième arrondissement de Paris, cet homme courageux, nul ne l’ignore, est protestant. Son précédent livre, « L’évangile selon Yong Sheng », rendait hommage à la culture chrétienne et Réformée, dangereuse à pratiquer sous le régime communiste. Il paraît en poche et ceux qui ne l’on pas encore lu ne doivent pas le manquer. Parce qu’un bonheur n’arrive jamais seul, Dai Sijie publie « Les caves du Potala » (Gallimard, 192 p. 18 euros) livre qui, là encore, allie tendresse, acuité, fantaisie.
Les cœurs chauds, les esprits qu’enflamme la révolte, ouvriront la biographie de Rimbaud que présentent les éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins (1408 p. 33 €). Son auteur, Jean-Jacques Lefrère, était médecin, fou de poésie. De l’ouvrage qu’il consacre au génie de Charleville, on pourrait dire qu’il est captivant, si cet adjectif n’entrait en contradiction avec la soif de liberté que Rimbaud nous a donnée. L’étude remarquable de Jean-Jacques Lefrère, articulée sur une analyse précise des sources, rédigée dans un langage clair, élégant, permet de comprendre la fulgurance d’un destin sans en éteindre les mystères.
Vous aurez été prévenus. L’époque a changé, mais pas toujours pour le meilleur. Évidemment, le cours de l’Histoire n’attend pas que les sociétés soient agencées comme des jardins à la Française pour avancer. Mais on a le droit de laisser vivre son chagrin quand on apprend que l’une des plus belles revues de ce pays disparaît. La fin du « Débat », qu’avait inventé Pierre Nora voici quarante ans, concède les floraisons de la pensée vivante aux contraintes économiques, aux changements de l’air du temps. L’ultime numéro contient, bien entendu, de multiples témoignages. Il fait regretter que l’aventure s’arrête. On aimait son équipage, Pierre Nora, déjà cité, mais aussi Marcel Gauchet, Krzystof Pomian – le secrétariat de la rédaction étant assurée par Marie-Christine Régnier. Critiques avec eux-mêmes autant qu’avec les autres, chafouins parfois, toujours animés de la volonté de faire découvrir aux lecteurs un sujet sous une lumière inédite, ces historiens et philosophes ont porté sur la place publique des sujets de discussion de façon rigoureuse et vigoureuse.
Allons-nous dépérir sous l’empire des approximations, de l’appauvrissement des idées ? Le pire n’est jamais sûr. Alors on recommande une revue très jeune, « Le vent se lève », dont un livre édité au Cerf (328 p. 20€) traduit la diversité des points de vue. Antoine Cargoet et Lenny Benbara donnent la parole à des gens de gauche, qui composent leur famille, ainsi qu’à des intellectuels de l’autre rive. Ils n’ont pas pour ambition de remplacer qui que ce soit, mais d’animer les discussions. Libres, dynamiques, ils se sont dotés d’une devise : « Tout reconstruire, tout réinventer ». Voilà un beau programme en ces temps difficiles.
Allons, vous aurez été prévenus, mais vous avez le désir d’espérer, de vous divertir. On n’amorce pas la fin de semaine – oxymore chronologique dont on apprécie la saveur acidulée- sans nourrir quelques illusions. Trois jours pour dévorer le « Louis XIV» de Philip Mansel, est-ce envisageable ? La réponse est nichée dans la question. N’empêche, on admire le monument que les éditions Passés/Composés présentent: plus de huit cents pages renouvellent notre regard sur un roi cruel avec les protestants, qui reconnut sur son lit de mort qu’il avait trop aimé la guerre- moyennant quoi son arrière petit-fils, dépositaire de cette confidence, n’a pas su manœuvrer la Prusse et l’Angleterre- et dont l’historien britannique décrit les grandeurs et les échecs.
Allons, vous aurez été prévenus, mais avez le droit de rêver. L’historien Jean Sévilla, les cartographes Jean-François Ségard et Nicolas Poussin publient « Une histoire inédite de la France en 100 cartes » (Perrin, 237 p. 27 €). Les croisades ou Vauban, l’apogée du Parti Communiste ou la Chambre bleue horizon, faites vos jeux, le casino du temps jadis ouvre ses portes. Au loin, peut-être entendez-vous la musique du bonheur ? Il n’est presque rien de meilleur qu’un bon livre…