Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entrainent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.
Saeed Roustaee livre un grand drame familial, axé sur ses personnages, dans le style bavard, mais terriblement passionnant, du cinéma italo-américain.
On pense à Rocco et ses frères (jusque dans le titre) de Visconti et, bien sûr, au Parrain de Coppola. Mais tout ça dans la culture si particulière et parfois déroutante de l’Iran, marquée par des traditions extrêmement tenaces, beaucoup de faux-semblants, étouffé par la fraude, la lutte des classes, les rivalités de clans et une économie toujours au bord du désastre.
C’est un film extrêmement fort, axé sur les personnages. Roustaee y aborde de front les questions sociales, du sexisme et du patriarcat à la classe sociale et aux droits des travailleurs.
Son scénario prend soin de montrer comment la corruption s’est infiltrée à tous les niveaux de la vie iranienne, des propriétaires d’usine intrigants au sommet de la hiérarchie jusqu’aux personnes au bas de l’échelle comme Parviz, qui travaille comme préposé aux wc dans un centre commercial et oblige ses clients parfois à payer double pour les utiliser. Parmi les nombreuses escroqueries des frères de Leila, la plus audacieuse concerne une entreprise dans laquelle Farhad veut que tout le monde investisse. Une sorte de vente pyramidale où des voitures sont pré-vendues à des acheteurs potentiels sans jamais être livrées. « Ce n’est pas une arnaque, c’est un travail », justifie-t-il, pour nous donner sans doute d’entendre plus généralement qu’ici les frontières entre les deux sont à jamais floues. Avec tout cela, c’est le rêve qui est aussi très présent. Leila souhaitant que ses frères puissent enfin se lancer et ouvrir un magasin prospère qui résoudra tous leurs problèmes, et les frères fantasmant tous sur un grand succès qui leur apporterait la richesse…
La véritable star de Leila et ses frères est sans doute ce scénario riche, débordant d’humanité, de profondeur et d’humour, qui permet de dresser le portrait véritablement émouvant d’une famille imparfaite. Malgré sa durée de près de trois heures, le film ne s’éternise jamais et se déroule à merveille, conservant un ton captivant et un récit complexe sur une famille ordinaire qui ne tombe pas dans les clichés ou la répétition. La réalisation est subtile. Il est d’ailleurs très intéressant d’observer que Roustaee parvient à traiter ces sujets en injectant également une ampleur épique à son histoire.
Centrée sur l’histoire de ce patriarche et des nombreux conflits tout autour, le cinéaste jongle en passant des épreuves universelles de la société iranienne aux problèmes de cette famille avec rapidité et virtuosité. Il sait faire les choses en grand lorsqu’il le faut, comme dans la séquence de l’usine ou dans une longue scène éclatante de mariage. Mais il sait aussi contenir l’action à quelques individus, avec de longues séquences de discussions notamment, faisant de son Leila et ses frères un film de « performances » avant tout.
La rage grandissante de Leila face à la médiocrité méprisable de son père et de ses frères, et l’épuisement à essayer de les sauver d’eux-mêmes, constituent l’énergie émotionnelle qui alimente le film. Dans ce rôle-titre, Taraneh Alidoosti, connue pour son travail sur les films d’Asghar Farhadi, nous offre une prestation époustouflante.
À ses côtés un quatuor de frères, chacun ayant sa propre spécificité, un style et une personnalité différente, et tous parfaitement interprétés. Et puis il y a le père, Esmail (Saeed Poursamimi), qui ne demande, semble-t-il, rien d’autre qu’un peu de respect de la part de ses enfants et du clan élargi, surtout après le décès d’un patriarche plus âgé, laissant Esmail comme candidat potentiel pour prendre sa place. Quelle justesse dans le jeu de ce comédien âgé !
Les acteurs apportent une formidable énergie et beaucoup de nuances à leurs rôles ; chaque personnage est chargé de contradictions, se battant pour la famille ou pour ses propres intérêts, ou parfois les deux, tout en sachant qu’ils font rarement ce qu’il faut.
Un film qui laisse une impression durable d’un très agréable moment passé au cinéma, tout en nous donnant de mieux comprendre la réalité d’un Iran, étouffé par l’embargo américain, l’inflation galopante, la destruction de l’emploi et le poids du conservatisme religieux.