Les Aigles de la République de Tarik Saleh, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2025, et porté par une brillante interprétation de Fares Fares, offre une réflexion profonde sur les mécanismes du pouvoir et les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les individus dans des régimes autoritaires.
L’acteur le plus adulé d’Égypte, George El-Nabawi, tombe du jour au lendemain en disgrâce auprès des autorités. Sur le point de tout perdre, il est contraint d’accepter le rôle du Président Al-Sissi dans un biopic à sa gloire. Il se retrouve alors plongé dans le cercle étroit du pouvoir, et réalise vite qu’il ne risque pas seulement d’y perdre son âme, mais qu’il s’est littéralement jeté dans une dangereuse danse macabre.
Ce récit, inspiré de faits réels, dévoile les tensions entre art et politique, et les compromis que doivent parfois faire les artistes pour survivre dans des contextes oppressifs. C’est une véritable immersion dans les arcanes du pouvoir.
Une esthétique maîtrisée au service du propos
Tourné en arabe par le remarquable realisateur suédois (d’origine égyptienne par son père) Tarik Saleh , avec une photographie signée Pierre Aïm et une musique composée par Alexandre Desplat, le film bénéficie d’une esthétique soignée qui renforce l’atmosphère pesante et intrigante de l’intrigue. Les décors et les costumes, fidèles à l’époque, immergent le spectateur dans l’Égypte des années 1950, tout en soulignant l’universalité des thèmes abordés.
Une mise en scène du pouvoir, entre théâtre et cinéma
Saleh utilise avec finesse le cinéma comme un miroir du théâtre politique. Le film dans le film – ce long-métrage de propagande que George Fahmy est contraint de tourner – devient un dispositif doublement révélateur : à la fois outil de manipulation collective et révélateur intime d’un homme en train de se perdre. Ce jeu de mise en abyme, tout en restant lisible, interroge la manière dont les régimes autoritaires instrumentalisent l’image, les récits, les figures héroïques. En filmant les scènes de tournage avec une précision presque documentaire, Tarik Saleh évoque subtilement les limites de la fiction, et les risques qu’elle court lorsqu’elle est capturée par le politique.
Une trajectoire morale sans pathos
Le plus remarquable dans le parcours de George Fahmy, c’est que Saleh n’en fait jamais un martyr, ni un héros flamboyant. Le film évite le pathos, préférant montrer la lente corrosion de la conscience, les hésitations, les silences pesants plus que les gestes spectaculaires. On assiste à la dérive intérieure d’un homme tenté de se croire maître de sa vie, mais progressivement enfermé dans ses choix. Cette approche, tout en retenue, laisse la place au spectateur pour réfléchir, sans imposer une leçon. Elle rejoint en cela une éthique protestante du récit : suggérer plutôt qu’asséner, faire confiance à la conscience individuelle, montrer que la dignité passe parfois par des renoncements discrets, mais cruciaux.
La vérité encore et toujours…
Comme beaucoup d’autres films de ce 78e Festival de Cannes, Les Aigles de la République interroge les notions de vérité, de conscience et de responsabilité individuelle. On peut naturellement le comprendre dans la période actuelle ! Le parcours de George Fahmy illustre les dilemmes moraux auxquels sont confrontés ceux qui vivent sous des régimes autoritaires, et la difficulté de rester fidèle à ses convictions dans un environnement hostile.
Le film invite ainsi à une réflexion sur la liberté intérieure et la force de la conscience face à l’oppression.
Avec Les Aigles de la République, Tarik Saleh signe un film puissant et engagé, qui clôt avec force sa trilogie du Caire. Une œuvre qui résonne profondément avec les enjeux éthiques de notre époque. Au cœur de la fiction et de la propagande, ce qui reste, c’est un homme seul face à lui-même – et c’est peut-être là que commence la vraie liberté.
La sortie en salles est prévue pour le 5 septembre 2025.