Le calvaire en surplomb des sentiers, le silence d’une salle à manger quand la servante annonce une visite, enfin des églises de stuc où refouler ses passions: les images se bousculent en notre esprit quand la conversation vient à rouler sur le catholicisme au siècle de Balzac. Un livre met à bas ces idées reçues. Ce n’est pas la diatribe qui l’anime, non plus que la nostalgie, mais le souci de dire le vrai d’une façon tranquille, scientifique et fraternelle.
Guillaume Cuchet, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil, en est l’auteur. Une histoire du sentiment religieux au XIXeme siècle (Le Cerf, 422 p. 24 €) se présente sous la forme de portraits, de tableaux sociologiques, et fait entrevoir un monde en mouvement, dynamique, original, à cent lieues des clichés de sacristies sentant le renfermé, l’encensoir et le mystère des ciboires.
Connaissez-vous Jean Reynaud (1806-1863) ? Théologien qui fut l’ami d’Hippolyte Carnot, le bonhomme a notamment rédigé Considérations sur l’esprit de la Gaule, qui suscita la vogue des études druidiques. « Il y plaidait pour un retour des Français aux intuitions fondamentales de leur religion nationale, écrit Guillaume Cuchet, par-delà cet accident de l’histoire qu’avait été le catholicisme romain et, détail significatif, il appelait de ses vœux le retour à la crémation, par opposition à l’ « odieuse et désolée religion des cimetières » qui montait dans la société contemporaine. » On n’imagine pas le succès considérable de ce livre : 4500 volumes vendus en quatre ans, cela peut paraître modeste, mais pour un texte ambitieux, complexe, hétérodoxe, il frise le bestseller.
« Exception dans un océan de conformisme» direz-vous peut-être… Eh bien non. Voici Alphonse Gratry (1805-1872). «Pour lui, souligne Guillaume Cuchet, le vrai danger, du point de vue intellectuel, n’était pas le scepticisme en matière religieuse ( ce que les théologiens romains appelaient alors « l’indifférentisme ») ou la critique rationnelle du christianisme, mais le scepticisme philosophique. « Le monde manque encore plus de raison que de religion », avait-il coutume de dire après Fénelon, un de ses auteurs favoris.» Certes, Alphonse a contribué à la restauration de l’Oratoire de France, sous le nom d’Oratoire de l’Immaculée conception, ce qui n’est pas vraiment notre paroisse. Mais que dire du libéral Henri Perreyve, du mystique Charles Gay, du génial Hugo lui-même? Avec leurs doctrines, leurs projets, leurs tocades, ils appartenaient, tout autant que le pape, au monde catholique de leur temps.
Guillaume Cuchet passe en revue, c’est l’autre aspect captivant de son ouvrage, les bouleversements théologiques et spirituels du dix-neuvième siècle. Il accorde au purgatoire, puisqu’il en est le spécialiste, une place de choix, fait connaître l’étonnante première vague néo-bouddhiste qui sévit chez nous (bien avant la vogue du thé vert), il s’attarde enfin sur le passage, essentiel, du petit au grand nombre des élus dans le discours catholique. « A bien des égards, les années 1850 représentent la meilleure décennie du siècle pour l’Église, explique l’historien. Elle bénéficie du soutien du régime en place et d’un mouvement très large de retour à la religion qui a frappé les contemporains. Or, les bonnes conjonctures- du moins celles qui sont ressenties comme telles- sont généralement plus favorables aux ouvertures que les mauvaises. L’Église y est davantage portée à envisager les choses de manière positive et à faire des concessions au monde moderne. »
En lisant cette analyse, comment ne pas s’interroger sur les pratiques des catholiques de notre époque en France ? « Un vaste sujet, qui mérite plus et mieux que trois lignes dans un blog », estimerez-vous sans doute- et vous aurez bien raison.
Refermons la parenthèse, mais répétons le conseil : au mépris des idées reçues, lisez le nouveau livre de Guillaume Cuchet : les chemins de Rome, parfois, méritent le détour.