Pénétrer au musée du Quai Branly, c’est déjà partir un peu, surtout pour ceux qui ne prennent pas de vacances ; une manière agréable et instructive de voyager à peu de frais dans le temps et l’espace. Cette année, le musée propose une exposition originale sur des peintures provenant essentiellement du défunt musée des Colonies et récemment restaurées, qui nous en disent beaucoup sur une histoire souvent occultée.

Œuvres de propagande

La première réaction à une telle initiative est le malaise : comment se sortir de la mentalité colonialiste qui a présidé au rassemblement des tableaux ? Comme toujours, il faut se replacer dans le contexte, lire les explications sans complaisance présentes tout au long de l’exposition. Le musée des Colonies devait justifier les possessions françaises d’outre-mer en montrant les richesses qu’elles apportaient en métropole, en taisant bien évidemment la façon dont elles étaient extraites.

« Le musée des Colonies devait justifier les possessions françaises d’outre-mer en montrant les richesses qu’elles apportaient en métropole »

Un beau et gigantesque tableau de 1930 montre ainsi des indigènes souriants, pittoresques et en pleine santé avec les produits de leurs terres : coco, café, ananas, laque, sucre de canne, etc. Ces richesses ainsi que le prestige de la conquête rendaient supportable voire nécessaire le coût humain (expéditions militaires) et financier (constructions et infrastructures). Heureusement, ces œuvres de propagande ne sont pas seules en place. Le visiteur pourra sentir bien davantage chez de nombreux peintres la simple séduction ressentie par la lumière, le chatoiement des couleurs et la découverte d’autres civilisations.

Paradis perdus

Pour montrer l’étendue de l’attrait des « lointains » sur les artistes, l’exposition remonte au XVIIIe siècle avec l’influence de Rousseau (revenir à l’état de nature, l’homme est né bon) et le formidable succès rencontré par le roman Paul et Virginie, qui se déroule à l’Île Maurice. Ce courant se poursuit au XIXe siècle, avec notamment un tableau de 1860 (choisi pour l’affiche de l’exposition), qui montre une jolie scène fantasmée de deux Indiens en pirogue. Puis, progressivement, les artistes apprennent à se débarrasser de leurs préjugés, à une époque où les voyages hors de France restaient rares et la documentation mince. Ils peuvent même montrer des scènes de vie aujourd’hui disparues, un des intérêts de l’exposition.
Le peintre cherche à capter la réalité, par exemple ce qui se cache derrière les visages des modèles, mais ne dénonce pas les méthodes d’exploitation, ce que feront pourtant certains écrivains et journalistes. Les rites des différentes religions sont captés en particulier lors des fêtes qui rassemblent les populations. On comprend que pour les peintres, montrer les missionnaires en train d’évangéliser ou dans leurs missions présentait beaucoup moins d’intérêt : le christianisme avec ses écoles et dispensaires, on connaît, et le contrôle des mœurs comme l’imposition de vêtements couvrants ne faisait pas l’affaire des artistes !

Peintures des lointains
Jusqu’au 6 janvier 2019 au musée du Quai Branly, 37 quai Branly, 75007
Tlj sauf lundi de 11h à 19h, jeu. ven. et sam jusqu’à 21h