Le film est l’adaptation par Yvan Attal du roman de Karin Tuil, Les choses humaines, récompensé du prix Interallié et du Goncourt des lycéens 2019. Un film dans lequel le réalisateur s’est entouré de sa femme, Charlotte Gainsbourg, et de son fils, Ben, dans deux des rôles principaux.
Alexandre Farel, fils de Jean Farel, un journaliste connu du grand public, et de Claire Farel, essayiste féministe, est accusé de viol sur Mila Wizman. Cette dernière est la fille du compagnon de Claire. Mais les deux protagonistes ne partagent pas la même vision de cette nuit. L’un soutient son innocence, quand l’autre affirme avoir été violée. Mais qui a raison, qui a tort ?
Yvan Attal choisit de diviser son film en trois parties (“Lui”, “Elle” et “30 mois après”). Les deux premières nous permettent de découvrir les deux jeunes protagonistes et de comprendre progressivement l’histoire et le déroulé de la nuit de ce qu’elle vivra comme un viol, et lui comme d’un coup d’un soir, vingt minutes d’action pour reprendre les mots du père, stupidement soutenu par une forme de bizutage. Le récit de deux perceptions d’un même événement… Successivement, cette sordide soirée est racontée au-travers des yeux d’Alexandre puis de Mila. Puis vient le temps du procès, qui dure près de la moitié du film, avec notamment un plan séquence de huit minutes, et les plaidoyers chocs du procureur et de l’avocat de la défense.
Dans cette manière de faire, apparait clairement la complexité de la situation. Il y a bien sûr les zones grises du consentement – que l’on perçoit d’autant plus dans le temps du procès et des flashbacks proposés – mais aussi les dégâts qui s’opèrent dans les familles et chez Alexandre et Mila. Tout le monde reconnait d’ailleurs que le destin des deux jeunes gens engagés dans la machine judiciaire est profondément brisé. Celui d’Alexandre promis aux plus hautes fonctions et celui d’une jeune Juive, peut-être trop naïve ou simplement blessée intérieurement par un vécu compliqué, qui n’a pas sur dire « non » au moment voulu. On observe également les fractures provoquées par les rumeurs du tribunal médiatique (et en particulier par les internets) que l’on connait de nos jours. Soucieux de rester neutre, le réalisateur nous positionne, en quelques sortes, comme des membres du jury. La caméra d’Attal ne montre rien de ce qui s’est passé lors de cette soirée, comme dans le livre. La porte du local de nettoyage se ferme… point d’autres témoins que les deux jeunes seuls avec leurs expériences propres.
Et au milieu des dialogues ciselés et parfois extrêmement percutants, cette phrase de l’avocat remarquablement interprété par Benjamin Lavernhe (une fois de plus…) : « Nous n’aurons pas la vérité mais nous avons besoin d’une vérité judiciaire ». Finalement c’est peut-être là que se situe toute la tension et l’enjeu de ce film courageux, autour de la question redoutable de la vérité. Il va de soi que pour moi, à ce moment-là particulièrement, résonne intérieurement le « Qu’est-ce que la vérité ? » prononcé par Pilate face à Jésus. Compliqué sans doute d’associer cette histoire d’évangile à celle toute contemporaine racontée dans Les choses humaines. Mais pourquoi pas malgré tout ? Car c’est une curieuse question d’un Pilate qui n’est ni philosophe, ni religieux. Mais Pilate se demande ce qu’est la vérité, parce que c’est une question à laquelle tout être humain pense un jour ou l’autre, et tente d’apporter des réponses, en particulier face à des situations dramatiques de l’existence. À chaque étape de l’échange préalable entre Pilate et Jésus, le procurateur romain est renvoyé à ses propres paroles : « est-ce de toi-même que tu dis cela ? » ou encore : « c’est toi qui dis que je suis roi ». Jésus semble mettre Pilate en demeure d’assumer sa parole. Jusqu’à ce que Pilate pose la question : « qu’est-ce que la vérité ? » Et que Jésus choisisse le silence comme seule réponse, en attendant la décision de Pilate, et l’acte qu’il choisit de poser dans cette situation où il a un pouvoir… à la façon finalement dont le film se conclut.
On se souvient aussi du geste de Pilate de se laver les mains, comme signe d’abstention (ce geste devenant même une expression aujourd’hui encore). Dans l’Évangile de Jean, il est notable que Pilate ne se lave pas les mains devant la décision qu’il a à prendre : Il sort et emploie une stratégie pour pousser la foule à décider elle-même ce qu’il espère secrètement. C’est une façon possible d’imaginer l’approche d’Yvan Attal car chaque spectateur repartira lui aussi en s’interrogeant avec, sans doute, sa compréhension des choses, son avis, son jugement même parfois. Alors, il reste de très bonnes images, d’excellents comédiens, une belle histoire… mais surtout il reste le fait que, dans la vraie vie, tout cela existe aussi si souvent et pose encore et encore cette même question : Qu’est-ce que la vérité ?