Le premier long-métrage de Sarah Suco, Les Éblouis, est sorti mercredi 20 novembre au cinéma. L’actrice, que l’on a pu notamment voir dans DiscountJoséphine s’arrondit et Les Invisibles, se retrouve cette fois-ci de l’autre côté de la caméra pour partager avec nous une œuvre dramatique. Un témoignage poignant puisant dans sa vie personnelle, pour faire écho au personnage de son film, Camille, une ado qui voit ses parents intégrer une communauté catholique charismatique aux dérives manifestement sectaires et s’enfoncer peu à peu pour finalement « devenir fous ».

Camille, 12 ans, passionnée de cirque, est l’aînée d’une famille nombreuse. Un jour, ses parents intègrent une communauté religieuse basée sur le partage et la solidarité dans laquelle ils s’investissent pleinement. La jeune fille doit accepter un mode de vie qui remet en question ses envies et ses propres tourments. Peu à peu, l’embrigadement devient sectaire. Camille va devoir se battre pour affirmer sa liberté et sauver ses frères et sœurs.

Lorsque Sarah Suco est âgée de huit ans, ses parents commencent à se lier d’amitié avec une communauté de type charismatique qui anime la paroisse où ils arrivent. La vie paraît merveilleuse, pleine de solidarité. Tout le monde est gentil et très attentionné. Mais le vernis apparent cache une toute autre réalité, bien plus proche de l’enfer que du paradis annoncé… Peu à peu, toute la famille va se trouver happée dans ce groupe et spécialement par le prêtre-gourou à la personnalité extrêmement perverse. Sarah y restera dix ans, et c’est à force de courage, qu’elle réussira à se sortir de ce calvaire. C’est donc nourri par ce terrible vécu que la jeune réalisatrice nous invite dans son premier long métrage.

Les éblouis est le récit glaçant et sublimement incarné d’une famille aux prises avec la dérive sectaire d’une communauté catholique. Une forme d’intoxication par un endoctrinement dont ils sont l’objet pour glisser progressivement vers une sorte d’infantilisme irresponsable. Et là, au premier plan, l’histoire d’une ado qui doit sacrifier ses envies pour suivre ses parents dans cette communauté où des règles infâmes dictent l’existence de ses membres. Un véritable martyre qui se met doucement en place face à un gourou incarné par un Jean-Pierre Darroussin totalement bluffant. 

La métamorphose est d’ailleurs peut-être le juste mot qui résume ce film tant sur le fond que sur la forme. La métamorphose d’une famille dans sa structure profonde et dans ses relations. Celle d’une enfant qui, au cœur de l’adolescence, une période de vie qui implique précisément des changements naturels, se voit métamorphosée par force et devoir. Mais encore, celle de ces acteurs comme Darroussin ou Camille Cottin qui, par leurs rôles inhabituels, nous font découvrir une autre facette de leurs multiples talents. Métamorphose enfin d’une actrice en réalisatrice à qui l’on a envie de dire très fort que les deux lui vont très, très bien ! En parlant de ces aspects liés au film, impossible de ne pas mentionner les jeunes comédiens de l’histoire qui font un travail remarquable et en particulier la solaire Céleste Brunnquelle dans le rôle de Camille qui, d’ores et déjà, se retrouve propulsée dans la short liste des révélation des César 2020. Enfin techniquement, bonheur de regarder une image sublimée par l’un des plus grands directeurs de la photo, Yves Angelo, qui une fois de plus fait des merveilles.

Sarah Suco a l’habileté, malgré les blessures, de travailler ici avec une certaine justesse du regard qui lui fait  réaliser un film qui n’est pas totalement à charge concernant la communauté de La Colombe et qui évite un manichéisme possible. Comme elle pouvait l’exprimer lors d’une projection de presse, choisir Les éblouis et nous Les illuminés est un choix qui dit l’angle particulier privilégié pour raconter cette part de vie. Elle ouvre d’ailleurs, de cette façon, l’espace de la compréhension du spectateur sur le processus d’embrigadement que l’on peut aisément retrouver dans ce genre de situation. Ici, la plongée en abîmes se fait ainsi progressivement tant pour les victimes elles-mêmes que pour le spectateur dans son fauteuil. Et pour parvenir à ce résultat, Sarah Suco a fait le judicieux choix de se concentrer sur Camille et filmer à hauteur d’enfant. Dans son regard se dévoilent alors la fraîcheur d’une adolescente face aux désirs d’être et de vivre, face aux sentiments qui se bousculent, les nécessaires apparences, les besoins d’attention et de tendresse… mais aussi, de part la situation particulière, les confusions malsaines, les pressions psychiques, les manœuvres tortueuses mais sans jugement ni accusation comme cela aurait pu être reçu si la hauteur choisie avait été celle respectivement des parents ou du ‘berger’, comme l’explique la réalisatrice.

Une histoire qui bouscule sévèrement, en particulier sans doute tout ceux qui, comme moi, ont grandi dans la foi chrétienne, expérimenté le meilleur mais aussi, parfois, sans aller jusqu’au pire, certaines dérives ou abus. Un refrain alors qui revient comme une litanie : « Si la mer se déchaine, si le vent souffle fort »… et dont les paroles heureusement se termine ainsi : « Il n’a pas dit que tu coulerais, il a dit Allons de l’autre bord ». C’est ce que Sarah Suco a pu expérimenter et continue de vivre sans doute avec la sortie des éblouis. Un premier film d’une déjà grande maturité et surtout d’une vraie puissance émotionnelle… pour ne JAMAIS oublier le sens profond de l’Évangile qui résonne dans les mots mêmes de Jésus-Christ : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. »