Récompensé par 4 prix parallèles, dont l’Œil d’Or célébrant le meilleur documentaire de Cannes, toutes sections confondues, mais oublié du Palmarès final, le docu-fiction extrêmement courageux de la cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania, Les Filles d’Olfa, sort ce mercredi en salles.
La vie d’Olfa, Tunisienne et mère de quatre filles, oscille entre ombre et lumière. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Un voyage fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité.
Les Filles d’Olfa est tout autant un documentaire qu’un véritable travail thérapeutique. La scénariste et réalisatrice Kaouther Ben Hania a manifestement passé du temps à travailler avec la famille Chikhaoui pour leur permettre de construire ce projet ensemble.
Le film vise à reconstituer la vie de cette famille avant la disparition des deux filles Rahma et Ghofrane, afin de comprendre le pourquoi des choses, au moyen d’un processus de tournage d’un film basé sur l’histoire de cette matriarche et de ses quatre filles. Ensemble, cette équipe met en scène des souvenirs, créant une version fictive des événements vécus par Olfa et sa famille pour les aider à se détacher de leur emprise sur le présent. C’est une film témoignage d’une grande force qui donne une certaine compréhension d’un basculement possible dans le fondamentalisme musulman.
Pour ce faire, il a donc fallu faire appel à des actrices, Nour Karoui dans le rôle de Rahma et Ichraq Matar dans celui de Ghofrane. Leur présentation aux vraies jeunes sœurs, Eya et Tayssir, a été filmée, dans une certaine tension bien compréhensible, mais les jeunes sœurs complimentent immédiatement l’équipe pour avoir capturé l’essence de leurs aînées, et finalement les quatre jeunes femmes commencent à s’apprécier et à se faire confiance d’une manière très organique.
Eya, Tayssir et Olfa s’adressent aussi directement à la caméra, séparément et ensemble, racontant leur version de l’histoire, analysant leurs sentiments et expliquant comment elles ont continué à vivre. Dans les reconstitutions, Olfa joue parfois son propre rôle et parfois une autre actrice, Hend Sabri (une grande actrice tunisienne), joue le rôle d’Olfa lorsque les émotions étaient trop fortes pour que la vraie mère puisse les revivre. Cela peut sembler compliqué à décrire mais pas le moins du monde à regarder.
Dans certaines scènes, les trois actrices et les trois membres de la famille analysent ensemble les comportements passés, par exemple en discutant des raisons pour lesquelles telle phrase a été prononcée lors de telle dispute, ou pourquoi Rahma et Ghofrane sont passées du statut d’adolescentes occidentalisées (Ghofrane a même eu sa période gothique pendant un certain temps) à celui d’adolescentes portant le hijab.
Dans cette analyse, les actrices prennent parfois directement à partie Olfa sur ses choix parentaux. C’est notamment le contrôle moral de leurs vies qui a conduit à la perte des deux filles aînées. Ayant le choix entre être étiquetées comme des « putes » ou embrasser la religion, elles ont opté pour cette dernière. Peu à peu, elles se sont radicalisées au point de rejoindre l’État islamique en Libye. Elles sont d’ailleurs aujourd’hui toujours en Libye, en prison, avec la fille de Ghofrane. Pendant ce temps, Olfa et ses deux plus jeunes enfants restantes font campagne pour leur rapatriement et tentent de trouver un moyen de briser le cycle de souffrance de la famille – une « malédiction » qui se transmet de mère en fille à chaque nouvelle génération.
Kaouther Ben Hania utilise cette expérience pour étirer l’histoire d’Olfa, afin de développer un récit passionnant sur la mémoire, la maternité et les traumatismes éducatifs et religieux.
C’est un film qui met parfois mal à l’aise et qui, à certains moments, soulève des questions éthiques épineuses compliquées. Comme une thérapie, le film emmène ses participants dans des endroits douloureux.
Les filles d’Olfa a aussi le mérite d’être d’un formidable intérêt pour observer certains mécanismes de basculement dans le radicalisme religieux, générés par la peur, la manipulation, mais aussi parfois par tout un système éducatif et culturel. Étonnamment, ce film audacieux, pétri dans son essence d’une certaine violence, est aussi joyeux, débordant de fraîcheur (notamment par l’expression des deux petites sœurs) et finalement porteur d’espérance.