2018 sera peut-être l’année Far West, car après le magnifique « Hostiles » de Scott Cooper, c’est maintenant au tour du film « Les frères Sisters » d’illuminer les salles obscures. Mais étonnamment, pas de grand nom du cinéma américain à la réalisation. C’est en effet Jacques Audiard qui en est l’auteur et réussit ici l’exploit de s’offrir une brillante réussite française à Hollywood en livrant un grand western tout à la fois traditionnel et extrêmement moderne, sombre et étincelant, franchement violent mais aussi tendre et humaniste.

Charlie et Elie Sisters évoluent dans un monde sauvage et hostile, ils ont du sang sur les mains : celui de criminels, celui d’innocents… Ils n’éprouvent aucun état d’âme à tuer. C’est leur métier. Charlie, le cadet, est né pour ça. Elie, lui, ne rêve que d’une vie normale. Ils sont engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme. De l’Oregon à la Californie, une traque implacable commence, un parcours initiatique qui va éprouver ce lien fou qui les unit. Cette poursuite devient une histoire du passage de la sauvagerie à la civilisation. Une civilisation qui se révèle tout aussi meurtrière, par sa démesure et l’adoration de sa nouvelle idole : l’or, et le naïf idéal rattaché, celui d’une société prospère et pacifiée.

L’histoire s’ouvre dans l’obscurité… une fusillade déchire la nuit. En quittant le lieu ravagé par les flammes, leur mission remplie, Eli Sisters demande à son frère Charlie « On en a tué combien, tu crois ? »« Je ne sais pas, six ? sept ? ». Le cadre et les caractères sont ainsi posés d’une main de maître, et c’est ainsi que commence alors un western qui ressemble à tant d’autres et qui va s’avérer en même temps très différent. On pourrait en effet parler davantage ici d’un western d’auteur, d’un film noir, d’un drame familial ou encore d’un conte romanesque dans le pur style Audiard. Car le cinéaste frappe très fort et réalise là une vraie pépite (d’or). Le western est tout de même l’un des genres les plus emblématiques du cinéma et sans doute l’un des plus casse-gueule. Cette capacité à emmener son film dans les hautes sphères de la catégorie tout en gardant sa patte, son ADN et ses thématiques de prédilection est donc une vraie performance.

On retrouve, comme souvent chez Audiard, cette figure centrale du père. Ici, il est un absent omniprésent qui a été effacé et dont on cherche à s’affranchir tout en ayant conscience qu’il a forgé un caractère, laissé des cicatrices et continue d’hanter les rêves qui virent aux cauchemars. Seule échappatoire comme sorte d’acte de résistance et de résilience, la sincère et profonde fraternité qui unit Charlie et Eli. Des liens simples et tendres qui se révèlent notamment dans des dialogues délicieux et parfois même extrêmement touchants au cœur d’une certaine sauvagerie ambiante. Ce sera aussi d’ailleurs par les gestes tendres d’une mère, dans la beauté d’un retour au cocon familial, qu’ils pourront retrouver une certaine sérénité… une paix utopique et enfantine, ressemblant à une étonnante rédemption qui laissera le spectateur interrogatif mais aussi, sans doute, admiratif.

Les frères Sisters se révèle être un grand film grâce aussi à un quatuor d’acteurs remarquables et complémentaires qui se confrontent deux par deux. D’un côté donc Eli et Charlie, duo redouté de tueurs à gages sévissant dans l’Oregon du milieu XIXème, joués à la perfection par John C. Reilly et Joaquin Phoenix. De l’autre, Hermann Kermit Warm et Morris, qui tentent de se diriger vers un idéal utopiste, en s’associant pour créer une communauté où l’homme s’élèverait par le partage et l’éducation, incarnés par Jake Gyllenhaall et Riz Ahmed.

Et puis n’oublions pas, enfin, la musique d’Alexandre Desplat… loin des sonorités de Morricone ou d’Elmer Bernstein, mais tellement à propos dans tout le métrage, et la photo de Benoît Debie qui, une fois de plus, maîtrise son sujet à merveille.