Quatre milans volent au dessus des pyramides, un soleil nonchalant berce le Nil. On ouvre une page, et voici que l’Empereur nous adresse un message: « Le premier jour du mois d’Athyr, la deuxième année de la deux cent vingt-sixième Olympiade…C’est l’anniversaire de la mort d’Osiris, dieu des agonies : le long du fleuve, des lamentations aigües retentissaient depuis trois jours dans tous les villages.» Antiquité recomposée, « Les mémoires d’Hadrien » demeure un grand livre pour Noël, un orient de papier qui se couche et se lève à loisir.
Au temps des Romains, la vie politique n’était pas reposante : un coup de glaive à la sortie des Thermes et le tour était joué, vous n’étiez plus qu’un souvenir, un objet d’étude pour épigraphistes à venir. Et pourtant les soubresauts de ce temps-là méritent notre attention. L’«Histoire Auguste » et les récits conçus par des historiens païens paraissent aujourd’hui dans la collection de la Pléiade (Gallimard, 1328 p. 70 €). Les textes réunis dans ce volume, pour la plupart élaborés sous le règne des premiers empereurs chrétiens par des nostalgiques des Dieux antiques, portent la trace d’une culture clandestine, un esprit contestataire. Ils nous relatent la résistance du paganisme. Ainsi l’auteur de l’ « Histoire Auguste » glisse-t-il, entre la célébration des personnalités bien connues, le portrait de spectres effacés, faisant mentir l’adage de Brennus, Vae Victis.
« Il cherche à combler une lacune historique et s’est donné pour objectif de placer sous une lumière nouvelle les oubliés de l’histoire, explique Stéphane Ratti, professeur d’histoire de l’Antiquité tardive à l’université de Bourgogne Franche-Comté, maître d’œuvre de cette édition.
La série intitulée « Les Trente tyrans » compte des notices biographiques si favorables à des usurpateurs de second rang, voire à des figures inventées, que l’on est amené à en déduire une sympathie réelle de l’auteur pour les princes illégitimes, ce qui s’explique parfaitement si l’on suppose que le biographe avait lui-même embrassé la cause d’un usurpateur.» Ici nous intéresse la pérennité d’une culture ancrée depuis des siècles, tandis que les ruptures et les changements paraissent inexorables. Nous devons rester prudents. Lorsque tel ou tel phénomène semble dominer tel autre à plate couture, il est enrichissant de scruter ses limites, en archéologues du temps présent.
Méditations contemporaines
Régis Debray depuis longtemps nous y invite, en particulier quand il examine la façon dont nous abordons le politique. Après « D’un siècle l’autre » (qui vient de paraître en collection Folio), le philosophe-écrivain nous offre « L’exil à domicile » (Gallimard, 124 p. 13,50 €). N’allez pas imaginer quelque réflexion sur le confinement : l’ouvrage tient de la méditation sur les comportements contemporains, la tectonique des religions, le mouvement des civilisations comme au rugby la descente des trois-quarts. « On aurait aimé pouvoir choisir entre plusieurs variantes d’Occident mais il n’y en a qu’une, finalement, note, à propos de l’hégémonie des Etats-Unis, Régis Debray. Avec une langue, le globish, et pas deux, et un leader en dernière instance, sur le Potomac. Pas de troisième voie, en définitive, comme on en a rêvé. Il fallait bien que les Grecs passent sous le contrôle des Romains, Empire oblige. C’est compréhensible- même si notre Protecteur est unilingue (alors que l’Empire romain parlait aussi le grec). » Pas nostalgique – c’est une idée fausse que l’on se fait de lui– Debray pratique une méfiance instinctive et rieuse, on allait écrire ontologique, à l’endroit de ce qui nous est présenté comme inexorable. Imaginatif, il nous donne à réfléchir autant qu’à rêver. Le lyrisme qui le signe s’accommode- et là réside la lucidité de l’écrivain- des façons de parler de notre époque. Bien sûr, on aime en lui le grand genre, celui de l’entrechoc des images et des mots, celui qui fait écrire à Chateaubriand: « C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né sous l’Empire. ». Mais Régis Debray garde un sens du swing assez fraternel pour qu’on se croie proche de lui.
Ce n’est pas comme Moïse. Lui, c’est le Grand Genre avec des majuscules, Tables de la Loi, Commandements comme s’il en pleuvait, la Terre Promise à l’horizon. « Que pouvons-nous dire de Moïse qui n’ait déjà été cent fois dit?» se demande Jacob Rogozinski, professeur à la faculté de philosophie de Strasbourg. Avec ferveur et précision, l’homme de science enquête, arpente les sources les plus vives- le Livre, la psychanalyse, l’histoire de l’Art – afin de comprendre pourquoi, comment, s’est produit le surgissement d’un Dieu unique. Il en revient avec un ouvrage épatant : « Moïse l’insurgé » (Le Cerf 392 p. 24 €).
Beaucoup d’hommes ici ? Voyons ! N’est-ce pas sa majesté Yourcenar qui leva le rideau de cette chronique ? Il n’est d’altérité sans liberté, sans rebond des idées. Les mots nous ayant pris par la main, nous croyons y reconnaître du Rainer Maria Rilke. Deux musiciens bulgares ont choisi quelques un des textes du poète praguois– jazz, romances, harmonies atonales– et mélangé les artistes en évitant la confusion des sentiments. Noël s’annonce. Comme par « Magie ».