Sous Henri IV et Louis XIII, cinq duchés-pairies (le sommet de la hiérarchie nobiliaire) ont été créés pour des protestants, dont celui de François de Bonne, plus connu sous le nom de duc de Lesdiguières, qui fut pratiquement le maître du Dauphiné jusqu’à sa mort en 1626. Grand chef de guerre et bâtisseur mais aussi calculateur et opportuniste, il ambitionnait de recevoir l’épée de connétable – la plus haute charge militaire, équivalent de commandant en chef des armées du roi – et a anticipé l’affaiblissement du parti huguenot en France en acceptant de se convertir au catholicisme.
Compagnon d’Henri IV
Après un début d’études de droit, le goût des armes et le besoin d’argent poussent ce fils de petite noblesse dauphinoise à se lancer dans la carrière militaire, où il excelle rapidement. Débutant sous le règne d’Henri III, il participe aux guerres de religion et devient le chef reconnu des protestants du Dauphiné dès 1584. Peu après l’avènement d’Henri IV qu’il a connu très jeune à Paris au collège de Navarre, François de Bonne est nommé commandant général du roi pour le Dauphiné et s’empare de Grenoble en 1590, qu’il transforme en profondeur avec notamment les fortifications de la Bastille et la construction du pont qui porte son nom, une prouesse technique, à Claix. Les années suivantes sont consacrées à des opérations contre le duc de Savoie, parfois allié de restes de Ligueurs ou d’Espagnols, qui cherchent à empiéter sur les frontières françaises.
Honneurs sous Louis XIII
Après la signature de l’édit de Nantes, Henri IV continue de faire appel à ses services et le fait maréchal de France en 1609. Vainqueur à nouveau de la Savoie en 1610, il signe au nom du roi un traité de paix quelques semaines avant l’assassinat d’Henri IV. C’est Marie de Médicis, devenue régente du jeune Louis XIII, qui le fait duc et pair en 1611. Malgré cela Lesdiguières est saisi, selon Agrippa d’Aubigné, « par la terreur qu’il avait prise de la ruine apparente de son parti » (protestant). Cela le conduit à abjurer en 1622 à Grenoble, âgé de 78 ans. À la sortie de la messe, son gendre, le maréchal de Créqui lui dit « Monsieur, puisque vous êtes catholique, le roi vous donne la charge de connétable ».
Il est vrai que les temps changent. À la cour de Louis XIII, très pieux catholique qui a placé son royaume sous la protection de la Vierge Marie, se convertir à l’Église romaine est préférable si l’on veut rester en faveur. Il faut de plus en plus de force d’âme pour résister aux pressions. Poussé par l’ambition et l’appât du gain, le vieux stratège l’a bien compris même s’il a attendu la toute fin de sa vie pour franchir le pas.
Lesdiguières participe encore à des campagnes militaires et en particulier à celle qui aboutit à la paix de Montpellier en 1622 contre ses anciens coreligionnaires. Le roi s’appuie sur ses talents de négociateur pour trouver un accord avec le duc de Rohan. La nouvelle paix, si elle confirme l’édit de Nantes, ordonne la destruction des fortifications de toutes les places fortes protestantes, sauf Montauban et La Rochelle.
Le « rusé renard » comme le qualifiait Henri IV, meurt en 1626 à 83 ans. Son duché, qu’il avait pris soin de faire ériger en « pairie femelle », c’est-à-dire transmissible par les filles, car il n’avait pas de garçon, s’éteindra au début du XVIIIe siècle. Il reste à jamais le dernier connétable de France puisque cette charge ne sera plus jamais confiée à personne.