Pas de roi. Des hommes en noir, à collerette blanche. Des milices qui protègent le commerce. Enfin, reflet des consciences libérées, des soleils de peinture au visage des femmes. Bienvenue dans le siècle d’or des Provinces-Unies. Les Pays-Bas d’autrefois nous éblouissent encore. Ils brillent dans la mémoire protestante avec d’autant plus de ferveur qu’ils furent pour les calvinistes-et tant d’autres- un refuge d’excellence.

La revue L’Histoire, à l’occasion d’un numéro spécial qu’elle consacre à Spinoza,  nous fait comprendre les splendeurs et le rayonnement de cette République. « Dans l’Europe du Grand Siècle, observe en préambule Joël Cornette, professeur émérite à l’Université Paris-VIII, les Provinces Unies sont marquées du sceau de la singularité et de l’étrangeté : tous les observateurs et les visiteurs témoignent de leur étonnement devant la métamorphose d’un territoire hostile, fait d’eau, de marais et de landes, peuplé d’hommes et de femmes pour le moins rustiques. (…) Or, en un étonnant « miracle »   (ce mot revient souvent sous la plume des contemporains) l’espace terrestre et maritime a été domestiqué, poldérisé, endigué, « apprivoisé » (entre 1590  et 1640, 80 000 hectares furent conquis sur les eaux), et mis au service d’un essor économique sans précédent, fondé principalement sur l’expansion maritime et commerciale.»

Comment ne pas voir dans cette réussite le prolongement de l’ambition calvinienne d’une communauté toute entière tournée vers la réussite et la vertu civique? Amsterdam apparaît sous la plume de l’historien Romain Bertrand comme une ville- monde. Elle ne fut pas la première – et l’on songe à Venise. Les traits particuliers de cette cité du Nord, décrite en « magasin général de l’univers », encourage à trouver des liens étroits avec la culture de la Réforme. La liberté religieuse y tient une place essentielle. « A la suite de la révolte des Pays-Bas, qui aboutit en 1648 à leur indépendance officielle, la République des Provinces-Unies devient une des principales puissances protestantes d’Europe, analyse l’historien hollandais Willem Frijhoff. L’Église réformée calviniste est désormais la seule église admise dans l’espace public. » Mais la liberté de conscience demeure. Anabaptistes, arminiens, Collégiants, Mennonites et Sociniens, mais aussi catholiques et juifs, tous ont dû vivre dans le respect de leurs altérités réciproques.

Emblème de cet esprit de tolérance: la liberté de publier des livres.  « La Hollande s’érige en centre d’édition international où sont publiés les livres qui n’obtiennent pas de privilège en France ou risquent l’interdiction, souligne l’historienne (protestante) Catherine Secrétan. Cette liberté, réelle, fut, bien plus que l’effet d’une volonté délibérée, le produit d’une situation- la structure particulariste de la jeune République- et de sa conséquence : la dispersion du pouvoir. » On peut dire que ce microclimat spirituel a sans doute permis l’émergence du philosophe Baruch Spinoza.

Tournant les pages de la revue L’Histoire (déjà disponible sur Internet- www. lhistoire.fr – et qui paraîtra le 11 mai dans les kiosques), on ne peut s’empêcher de se demander par quel mystère une nation d’avant-garde, inventive, qui reste fidèle à sa tradition d’ouverture au monde, peut s’ériger aujourd’hui en forteresse d’orthodoxie comptable.

Sollicitée par nos soins, Catherine Secrétan nous invite à la prudence. Il est facile de verser dans l’anachronisme, il n’existe pas de lien direct entre notre époque et le XVII ème siècle. Mais comment ne pas s’interroger ? Pourquoi les Pays-Bas se montrent-ils actuellement si rétifs au partage de la dette européenne? Alors que nombre de commentateurs opposent une « Europe protestante » aux « nations du sud »- qu’ils peinent d’ailleurs à désigner comme catholiques- on peut craindre que la Réforme deviennent aux yeux de l’opinion le symbole d’un égoïsme forcené.

Bah… Ne désespérons pas de nos voisins. Souvenons-nous des années soixante-dix, décennie dominée par la couleur orange. On y rêvait d’un monde meilleur, toujours plus démocratique et plus tendre. En ce temps-là, les Pays-Bas, conduits par un génie pop appelé Johan Cruyff, jouaient grands, larges et généreux !