Il fut une époque, l’avez-vous connue ce temps de folie furieuse ? Où les Dieux ressemblaient à des femmes et des hommes, nageaient parmi les soldats, tendaient des pièges et rusaient jours et nuits. Pierre Judet de La Combe nous en raconte l’épopée, science et plaisir mélangés, dans un bel ouvrage : « Quand les Dieux rôdaient sur la terre » (Albin Michel, 608 p. 25 €). Toute la galerie vous est présentée : Prométhée le voleur de feu, Dionysos le virevoltant, mais encore Aphrodite – évidemment ma préférée. C’est un bal Mabille à l’antique, des masques et bergamasques, des querelles de famille et des guerres pour de rire. Une mythologie pour notre éternité.

Libre à vous de vivre au Moyen-âge et d’accompagner Martin Aurell, professeur à l’Université de Poitiers, sur le chemin d’« Aliénor d’Aquitaine » aux éditions Flammarion (502 p. 24,90 €). Son livre est de ceux dont on se dit, dès les premières lignes, qu’il va nous éclairer, sans rien de pesant. Nous sommes au mois de décembre 1154 et la reine de France, qui fut répudiée par un Louis VII convaincu que son épouse ne lui donnera pas d’enfant, devient reine d’Angleterre. « A l’occasion de la cérémonie et des festivités, elle rencontre peut-être Geoffroi de Monmouth, évêque en titre de Saint-Asaph au Pays de Galles. Une vingtaine d’années auparavant, ce clerc d’Oxford a connu un large succès en Occident grâce à son adaptation latine de vieilles prophéties en langue celtique attribuées à Merlin l’Enchanteur. »

Qu’en aurait pensé Bécassine ? On ne sache pas que cette femme aux yeux vifs, émouvante à force de gaffes, ait été grande lectrice. Mais sans doute aurait-elle été flattée de se trouver dans le livre que Joël Cornette consacre à sa région merveilleuse natale où, la chose est bien connue, la pluie de ne tombe jamais plus de trois fois par jour. « Une brève histoire de l’identité bretonne » (Tallandier, 258 p. 10 €). Cet ouvrage a le charme d’une promenade non conventionnelle. On adore le chapitre « Préjugés » pour le miroir qu’il nous tend. « Ils sont sérieux, travailleurs, durs à la peine, fidèles, têtus, frondeurs, violents, note Joël Cornette. « Bretons : tous braves gens mais entêtés », peut-on lire dans le Dictionnaire des idées de reçues de Flaubert. Qui n’a entendu ces qualificatifs appliqués aux femmes et aux hommes de l’Armorique ? » On est heureux de la synthèse en 80 dates – il n’est pas facile de tout dire ou presque de la Bretagne, et comprendre la singularité d’une terre battue par les vents mais bercée de soleil est un jeu de piste épatant.

Si chaque jour vous vous plaignez des réseaux dits sociaux – tout en les consultant, sur le trottoir de votre ville, ou sur la place de votre village – alors « La ville captivée », de Laurent Cuvelier vous attend. Très beau titre, excellente analyse, l’ouvrage porte sur l’affichage et de la publicité au XVIIIe siècle. Et n’allez pas croire qu’il s’agisse d’un temps révolu ! « Les effets du capitalisme commercial et la naissance d’une société de consommation modifient profondément les modes de vie des années 1750 aux années 1820 », remarque Laurent Cuvelier. C’est tout le paysage urbain qui s’en est trouvé transformé, par voie de conséquence l’émergence d’un rapport à la ville et au monde qui nous est désormais familier. « L’expérience sensible de la ville moderne est celle d’un regard entraîné à trier, à sauvegarder, à mettre à jour, à partitionner ou réinitialiser les informations, souligne encore Laurent Cuvelier. L’œil saura distinguer sur un même coin de mur, une annonce de réfection de la voierie, la promotion d’un spectacle, un appel à manifestation et une publicité pour une marque célèbre. »

A ville nouvelle homme nouveau. Philippe Raynaud consacre à Victor Hugo (Gallimard, 120 p. 17 €) l’un de ces ouvrages courts mais épatants, qui stimulent autant notre imagination que notre réflexion. « Comment devient-on Victor Hugo ? » s’interroge l’auteur. En ayant du courage, de la ténacité lorsque la haine contre soi se déchaîne, et puis aussi de la chance et de la volonté, la santé, le goût du travail, enfin bref, un arsenal de qualités qui permet de tenir un siège quand le monde rugit. « Le génie poétique sera toujours pour lui l’expression privilégiée d’une histoire qui, au-delà des déchirements, mène de la spontanéité primitive au libre déploiement de la créativité humaine », écrit Philippe Raynaud.

Colosse à l’antique, le fils d’un général au tempérament de feu dressa de toutes les époques et de son temps le tableau formidable, à coup d’alexandrins, de sonnets, porté par la rime la douleur et le goût de l’hémistiche :

« Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. »

Victor Hugo

Tandis que la guerre en Ukraine fait rage, lire et relire Hugo sur l’épopée de notre humanité.

« Vie et destin » disait l’autre…