L’immigration est un phénomène historique qu’il faut analyser en tant que tel, et non sous le prisme de la doxa ou du climat politique. Il s’agit d’un fait. À nous d’en tirer les conclusions sensées et libres de toutes implications politiques : voilà ce à quoi nous invite cet ouvrage, en mettant donc ici l’immigration à l’épreuve de la Nation.

Les discours qui la concernent font généralement de l’immigration un objet politique, économique ou éthique. Elle apparaît alors, sous l’angle d’un rapport de forces, soit comme une menace ou un danger à combattre pour maintenir une identité nationale, soit comme une victime à défendre contre un environnement injuste et condamnable dans un contexte socio-politique de domination dans les pays d’accueil. Se fondant sur les travaux d’Abdelmalek Sayad (1933-1998), sociologue de l’immigration, et du maître français Pierre Bourdieu (1930-2002), notre auteur, professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg, nous invite à une approche plus complexe. L’immigration est un fait de société à comprendre, au-delà des attitudes globalisantes, négatives ou positives. Smaïn Laacher propose une approche méthodique aussi objective que possible, respectueuse d’une réalité plus complexe et de ses diverses composantes.

Au-delà des données statistiques relatives aux immigrés dans un pays, il convient de préciser qu’il s’agit de personnes faisant l’expérience d’un changement d’identité sociale. Ils commencent par être des “émigrés”. Ils abandonnent en leur milieu social, leur langue, leur situation économique, leur culture, leurs traditions et coutumes, quel que soit le contexte dans lequel ils vivent (pauvreté, exploitation, illettrisme, insécurité ou exclusion). Ils quittent leur nation, leur identité originelle, et il s’agit pour eux de trouver place dans un nouveau milieu national, une nouvelle identité, une nouvelle culture avec tous les traumatismes ou obstacles que cela comporte pour eux, leurs familles, et leurs enfants. C’est ce qui constitue l’objet “immigration”, champ de recherche du sociologue.

Le phénomène migratoire concerne certes les immigrés, mais la société qui les accueille est mise elle aussi à l’épreuve du fait migratoire. Elle doit relever le défi de l’intégration de ces nouveaux partenaires et de leurs descendants, quel que soit leur statut juridique (Français, résident avec permis de séjour, sans-papier en situation irrégulière). Tous les immigrés, du fait de la diversité de leurs origines, n’ont pas le même rapport historique à la nation, à l’État, et au droit national. Impossible d’avoir les mêmes critères d’ordre politique applicables à tous, sous peine de risque de dérives racistes ou idéologiques.

À partir de la reconnaissance d’une altérité chez l’immigré, il est impératif de veiller à sa compréhension de l’habitus national du pays, les valeurs et coutumes comportementales régulant sa vie socio-culturelle ; langage, vie citoyenne, vie économique, vie sociale [relations hommes-femmes, famille et responsabilité parentale, éducation, état de droit, liberté religieuse et laïcité, etc.]

Dans les pays occidentaux, notamment la France, l’institution scolaire joue un rôle primordial dans le processus d’intégration, et l’acquisition de leur identité par les jeunes générations issues de l’immigration, mais il faut prendre grand soin du problème des relations entre enseignants et des parents qui n’ont souvent pas connu eux-mêmes l’institution scolaire comme élèves.

Selon notre auteur, le défi socio-politique de l’immigration consiste à cesser de comprendre cette dernière comme un danger pour son identité-propre dans une relation d’affrontement entre eux et nous, comme deux mondes concurrents. « Autant dire que l’ensemble de ces actions identitaires ne cesse de creuser l’écart entre des nous particuliers et un nous universel », écrit S. Laacher dans sa conclusion. Et d’ajouter : « Comment en est-on arrivé à […]