Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ…
L’innoncence, s’inscrit dans la lignée de l’émouvant Tel Père, Tel Fils, lauréat du prix du Jury en 2013, et de Shoplifters, lauréat de la Palme d’or en 2018. On y retrouve d’ailleurs à nouveau la merveilleuse Ando Sakura qui joue Saori, une mère veuve (dite « célibataire » dans le film) qui se bat pour élever son fils Minato (Kurokawa Soya) qui, comme le montre le premier acte du film, traverse des moments difficiles à l’école élémentaire. L’innocence nécessite la découverte et je fais le choix ici de rester silencieux sur le déroulé de l’histoire qui se dévoile progressivement tout au long du film et au-travers de plusieurs regards ou points de vue. Car c‘est la perspective qui est d’abord traitée ici. Cette manière dont elle peut changer la façon dont nous comprenons certains événements et dont elle peut nous amener à juger les gens différemment.
C’est une expérience originale et tendue, qui oblige le spectateur à s’immerger dans l’histoire afin de comprendre progressivement les actions de ses personnages, et d’atteindre une fin où tout a finalement un sens. Sachez simplement que ce film s’enveloppe de secrets et de mensonges, la vérité se situant dans des zones grises en fonction de la personne qui est au centre de l’attention à un moment donné. Ce que le film semble en tout cas nous dire, c’est qu’il est souvent impossible de connaître la vérité sans avoir une vue d’ensemble ou sans connaître toutes les perspectives des personnes impliquées. Ne connaître que l’opinion ou le point de vue d’une seule personne, c’est comme n’avoir qu’une ou deux pièces d’un puzzle ; on peut avoir une idée générale de la figure, mais on ne peut pas en être sûr tant qu’on n’a pas le reste des pièces.
La famille, comme c’est généralement le cas dans les films de Kore-Eda, joue un rôle important ici, de même que les effets durables du deuil et les divisions et murs que nous construisons autour de nous, ou des autres qui nous entourent. Les deux enfants, acteurs principaux, sont tout simplement superbes, sans manquer de rappeler Close, en termes d’examen complexe d’enfants vulnérables subissant divers traumatismes au cours de leur jeune vie. Une histoire dans l’air du temps portée par la partition au piano du regretté compositeur oscarisé Ryuichi Sakamoto, qui renforce l’atmosphère réconfortante du film.
Kore-eda Hirokazu dirige L’innocence avec aplomb, passant d’un point de vue à l’autre avec une fluidité absolue, utilisant certains événements de l’histoire – en particulier l’incendie d’un immeuble au milieu de la ville – comme une situation que tous les personnages ont en commun (et dont la plupart d’entre eux sont témoins). Les personnages sont développés habilement avec sensibilité, et Kore-eda utilise sa caméra pour nous faire entrer dans leurs vies et leurs points de vue, révélant patiemment des vérités, nous faisant porter des jugements de valeur, puis regretter ou changer d’avis. Cette histoire poignante et complexe fait littéralement basculer le point de vue du public lorsque le point de vue se déplace vers Minato et que les possibles pressentiments deviennent la vérité et, qu’en même temps, ce que nous pensions être la réalité n’était qu’un mensonge.
Le scénario de Yuji Sakamoto est l’un des plus originaux qu’il m’ait été donné de voir cette année et il mérite grandement son prix cannois (ce qui lui a valu un contrat de cinq ans avec Netflix). Précisons d’ailleurs que pour la première fois en près de 30 ans, Hirokazu Kore-eda réalise un film qu’il n’a pas écrit mais dont l’histoire lui colle à merveille. L’innocence est une expérience fascinante – un film qui demande au spectateur de s’impliquer dans l’histoire racontée, d’accepter la surprise, l’amenant à reconsidérer tout ce qu’il a regardé. C’est un film sur les différentes perspectives d’une situation, certes, mais aussi sur les relations complexes entre les personnages, sur l’innocence de l’enfance, sur les brimades et les amitiés compliquées, et sur la façon dont le genre est perçu chez les enfants. Une histoire puissante sur le plan émotionnel où moins on en sait sur le film avant de le voir, plus les bénéfices sont importants.