Le temps de l’ardoise et de la craie nous revient. Regard incertain, gestes fragiles, un enfant se réveille en nous, qui voit septembre avec un brin d’inquiétude s’avancer. « Parle pour toi, vieux crouton ! » diront les plus jeunes. Et puis d’ailleurs, aujourd’hui les tableaux d’école sont blancs, complétés par des machines électroniques appelées tablettes. Sagesse des nations, sagesse de Qohélet, ici c’est tout comme : le temps nous donne chaque jour une solide leçon. Plutôt que de geindre, effeuillons l’agenda des essais de la rentrée.  

Vous souvenez-vous du livre de cuisine, tout joli, de Jennifer Martin ? Cette fois, ce sont les produits préparés qui défilent sous nos yeux. Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre nous présentent « L’épicerie du monde » (432 p. 25 €), décrivent de quelle manière les sardines à l’huile ou le ketchup ont pris l’ascendant sur les consommateurs. Et les charcuteries. Et le yaourt. Et le Roquefort. Toutes ces propositions culinaires qui nous paraissent des évidences ont une histoire, dont les auteurs avec humour et précision nous relatent la naissance et le déploiement. Bon. Notre cœur se serre quand nous apprenons que c’est un cuisinier français qui fixa pour le pire la recette du Christmas Pudding. Mais cela n’enlève rien à la pertinence de ce livre.

Plus sérieux, quoi que teinté de sourire en trait d’élégance, Jean-Noël Jeanneney publie le deuxième volet de ses Mémoires, « Le rocher de Susten, De Radio France au Bicentenaire de la Révolution» (Seuil, 421 p. 25 €). La libération des ondes aurait pu provoquer l’affaiblissement du service public en 1981; il n’en fut rien grâce à cet homme agile autant qu’inspiré, qui sut protéger par la transformation des grilles de programme, audace et sens de l’histoire associés. Le récit des célébrations de 1789 (et de 1790, 1792, 1793, puisque Jean-Noël Jeanneney se comportait en César, – pas le général, non, le sculpteur–) éclaire les débats mémoriels et historiographiques, à la fin politiques, de la Révolution. Ne vous encombrez pas de scrupules, offrez ce livre à des adolescents, tableau de mœurs aussi rigoureux que drôle. Une façon de leur montrer que les querelles médiatiques ne datent pas d’aujourd’hui.

Les éditions du CNRS ont la bonne idée de proposer de courts volumes permettant à des chercheurs de présenter leur démarche. François Hartog publie «  A la rencontre de Chronos » (CNRS, 128 p. 8 €) méditation personnelle des plus stimulantes. Historien, philosophe, anthropologue, Hartog ne se contente pas d’établir un lien entre le temps jadis et le présent : après tout, n’est-ce pas la respiration naturelle de toute personne dont la profession consiste à se pencher sur le passé ? La force de sa pensée vient du sens qu’il donne à ce lien. Prenant appui sur l’exemple de Pierre Vidal-Naquet, grand helléniste qui se battait pour faire éclater la justice pendant la guerre d’Algérie, scrutant les tensions intérieures de Chateaubriand, projetant son regard sur les mois récents de confinement, François Hartog entraîne le lecteur sur les chemins de la liberté, la vraie, celle qui surgit de la règle et de la loi.

Denis Müller, quant à lui, se demande comment penser la métaphysique en protestant. Son nouveau livre, « Tristesse et métaphysique terrestre » (Le Cerf, 240 p. 22 €) convoque Joyce et Rimbaud, Van Gogh, mais il tire aussi parti des disputes contemporaines, en particulier dans le domaine des mœurs. Athlétique et souple, il nous invite à vivre le protestantisme avec joie.      

Sur votre visage, on croit discerner quelque grimace : ne serions-nous pas trop optimistes, angéliques même, à force de croire qu’il existe une façon de vivre au monde qui s’affranchit du cynisme? Allons donc…Afin d’égayer votre rentrée – scolaire ou non–  plongez dans « Les hommes de lettres et autres romans » d’Edmond et Jules de Goncourt (Bouquins 1280p. 32 €). Les frères siamois de la littérature française y décrivent les pratiques de leur milieu, bal de complots, fantasia de chausse-trape, un monde familier, tant et plus, quel que soit le champ dans lequel on exerce son métier. Qu’importe. Le temps de l’ardoise et de la craie nous revient. Celui de la musique, ancienne ou contemporaine, au grand jamais ne nous a quittés.