Le phénomène s’est développé tout au long du XXe siècle et se prolonge aujourd’hui. Selon François Azouvi, le siècle dernier a connu un bouleversement dans l’histoire des idées. Le culte de l’héroïsme, avec référence à la sainteté dans le climat religieux de l’époque, constituait un tissu de valeurs pour la vie sociale. La Première Guerre mondiale, avec ses combats et ses hauts-faits, a marqué l’apogée du culte du héros. Puis, l’entre-deux-guerres a vu surgir le courant international du pacifisme, et en même temps une radicalisation du politique – culte de l’État – accompagnée de la raréfaction des croyances transcendantales dans le monde de la religion. La Deuxième Guerre mondiale avec son nombre effrayant de victimes, à commencer par la « Shoah » pour le judaïsme et la conscience européenne, a conduit à une prise de conscience globale. La « victimisation » a gagné le monde des idées. Peu à peu, la victime a éclipsé le héros. Le modèle à suivre ou à imiter a cédé la place aux solidarités à vivre avec ceux qui subissent les violences sociales ou politiques, dans toutes leurs diversités.
Mais il a fallu attendre la fin des années cinquante, et surtout les années soixante à quatre-vingts, pour que la victime connaisse une véritable sacralisation. Au cours de ces quelque trente années s’est développée la prise de conscience du génocide juif qui a pris une dimension systémique unique, à la différence d’autres camps de déportation sans en minimiser non plus l’horreur. Dans les camps d’extermination d’Auschwitz, de Treblinka et autres, les victimes sont devenues des martyrs dans la conscience collective. Leurs noms demeurent à jamais gravés dans la mémoire collective.
Cette même période a été marquée par le processus général de décolonisation en Afrique, Amérique latine et Océanie, avec la dénonciation de l’esclavage et de la traite […]