« Un document vécu est toujours plus intéressant que le récit d’une vie racontée de l’extérieur. » (p.321)
Pour conter les péripéties de la vie de sa grand-mère Marie Octave Monod (1876-1966), née Marie Chavannes, l’auteure – Brigitte Joseph-Jeanneney – s’est livrée à un travail de recherche en profondeur dans de nombreuses archives familiales : journaux intimes, correspondances, agendas… Et elle a imaginé de le raconter sous forme d’une autobiographie vivante et prenante telle qu’elle pensait que M.O. Monod aurait pu l’écrire si elle avait songé à rassembler ses souvenirs en un seul volume.
La jeune et belle protestante à la foi tourmentée y raconte ses rêves, ses amours, ses doutes et ses révoltes face aux épreuves traversées par sa famille, aux deuils successifs de plusieurs de ses proches, à ses émois affectifs sans lendemain, jusqu’au jour où, lassée de l’étroitesse d’esprit du milieu dans lequel elle évolue, le jour de ses 18 ans elle écrit : « Ma vie est un désert, je vis au jour le jour, tant bien que mal, cahotant. Mon âme n’est plus à ce que je fais. Mon amour est mort. Ma foi est morte. Je n’ai plus rien de vivace en moi… » (p.55). À partir de ce moment-là, elle se proclamera agnostique. Curieusement, cet état d’esprit dans lequel elle se trouve ne lui semble pas incompatible avec l’instruction religieuse qu’elle continue de dispenser aux enfants de son église locale où elle persiste à se rendre parce qu’elle s’y sent bien. Déçue par le manque d’engagement des protestants qu’elle rencontre, elle finit cependant par briser petit à petit le cocon rassurant de sa vie paroissiale pour s’engager dans de multiples œuvres sociales, politiques et intellectuelles : « Je suis convaincue que la faiblesse actuelle du christianisme tient à ce que la plupart des chrétiens n’ont plus l’esprit altruiste. » (p.290)
Brillante et obstinée, elle fait partie de cette cohorte de jeunes femmes qui poursuivent avec persévérance contre vents et marées des études universitaires à une époque où c’était encore presque impossible de le faire. Et toute sa vie, elle va lutter de toutes ses forces pour la paix, la tolérance, l’écoute mutuelle et les droits des êtres humains et plus particulièrement des femmes : « J’admets la différence, je la valorise mais je refuse la hiérarchie entre les deux sexes. » (p.221)
Écrivaine reconnue, historienne de haut niveau et conférencière recherchée, en 1958 elle est élevée au grade de chevalier de la légion d’honneur, nomination qu’elle n’avait aucunement recherchée.
Pendant quelques 240 pages, l’auteure a su retracer avec brio le parcours de cette femme d’exception éprise de liberté qui prit, après la mort de son mari adoré Octave Monod, et pour lui rendre hommage, le nom de Marie Octave Monod. Les pages qui suivent sont moins passionnantes à lire, retraçant plutôt les dernières années de vie d’une femme vieillissante et handicapée par des douleurs récurrentes, une femme qui ressasse ses souvenirs, une femme cousue de contradictions qui se targue de ne pas avoir voulu porter de croix huguenote mais qui parle de bénédictions (p.326) et de « l’esprit du mal » qui, lors de l’assassinat de Gandhi, « se déchaînait sur le monde. Revanche du diable triomphant ! » (p.302) Jusqu’à la fin elle restera attachée à ses racines protestantes puisque préparant ses funérailles avec sa fille, elle ne voit « aucun inconvénient à ce que soient lues au cimetière la liturgie ou quelques belles pages de l’Évangile. » (p.338)
À partir du moment où elle […]