Ne nous leurrons pas. Toute lecture est incertaine. On croit tenir une vérité, c’en est une autre qui surgit. Voulez-vous un exemple ? C’est le doux visage du chagrin qui berce les pages de Tintin. Bien entendu, le mouvement, la couleur et l’aventure empêchent d’y songer. Mais chaque enfant le devine : il n’est d’espérance que menacée. Voilà pourquoi l’œuvre de d’Hergé s’apparente à la plus forte des leçons de vie, traverse le temps, fascine les petits et les grands. Bob Garcia lui rend hommage en publiant « Hergé, les Ultimes secrets » (éditions du Rocher, 320 p. 19,90 €).

Passionné comme le sont les inconsolables, amical et précis, ce journaliste-écrivain dévoile tout à la fois les sources d’inspiration, les références, en un mot les affluents du travail accompli par Hergé. Les novices – ô comme on les envie ! – découvriront tout un monde parallèle, dont les amateurs aiment à leur vanter le charme et la fantaisie, mais dont ils n’ont jamais osé franchir le seuil. Un monde où Saint Jean l’évangéliste protège un trésor, où l’étourderie n’interdit pas le génie, où la clarté du dessin ne masque pas le mystère du dessein. La chose est désormais célèbre, les premiers albums de Tintin mettaient en scène des stéréotypes colonialistes et antisémites ; Hergé continua de publier ses histoires pendant l’occupation allemande, au sein du grand quotidien belge « Le soir », alors sous contrôle nazi. Le dessinateur admit la bêtise de ses préjugés, pris conscience de ses fautes et modifia les planches condamnables. De tout cela Bob Garcia rend compte avec honnêteté. Voilà pourquoi son livre, initiatique et sérieux, vaut le détour.

Face au tragique, est-il permis de rire ? Alya Aglan, répond oui sans hésiter. Spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, cette historienne rassemble des textes corrosifs ou satiriques, en tout cas toujours drôles, sous un beau titre : « Le rire ou la vie, anthologie de l’humour résistant, 1940-1945 » (Folio, 304 p. 9,20 €).

« Dans un monde qui entre en guerre pour près d’une décennie, le rire, parce qu’il est universel, intègre la panoplie des instruments de lutte  à l’échelle internationale, écrit Alya Aglan. Un tel vecteur pourrait être estimé futile, ou du moins sans efficacité, pour influer sur le cours de la guerre. Mais écrire, plaisanter, faire des bons mots, railler ses ennemis, n’est-ce pas préserver quelque chose de la liberté ? » Nous ne pouvons qu’approuver. Quand le journal Franc Tireur publie son manuel du Révolutionnaire national et recommande de dire : « L’Amiral de la Flotte Darlan et non pas : l’Amiral Darlan, à la flotte » ou bien « Le Maréchal a fait don de sa personne à la France et non pas Le Maréchal Pétain a fait don de la France à sa personne », on rit. Tout comme en lisant de Pierre Dac, humoriste célèbre et champion toutes catégories du détournement, le Bulletin météorologique de l’ordre nouveau : « Etat du ciel, Allemagne. Très couvert ; plafond bas ; de très fortes chutes d’acier sont signalées, en particulier dans les régions de Berlin, Stettin, Mannheim, Ludwigshaven et autres centres industriels. On signale qu’un vent de panique souffle avec une extrême violence sur la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie. » Notons que cette façon de rire aujourd’hui semble dépassée : lorsque le chef de l’Etat d’Ukraine laisse poindre le début d’un sarcasme, Internet s’enflamme pour condamner son mauvais goût. L’époque serait-elle moralisatrice ? On s’en voudrait de mal penser…

Pour se consoler de la réalité, certains laissent battre leur cœur à 24 images par seconde : « Les films sont plus harmonieux que la vie Alphonse, déclare François Truffaut dans La nuit américaine. Il n’y a pas d’embouteillage dans les films, il n’y a pas de temps mort. Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit ». Le cinéaste de l’amour était un homme de lettres : par milliers sans doute se comptent ses missives. Le journaliste-écrivain Serge Toubiana présente une partie de la correspondance qu’échangèrent Helen Scott et François Truffaut. « Mon petit Truffe, ma grande Scottie – 1960-1965 » (Denoël, 464 p. 29,90€).

Jeune encore, mais tellement brûlé par une enfance malheureuse, le créateur des 400 coups se montre tendre et roué, sincère, incertain, manipulateur en un sens, toujours émouvant.

Helen Scott est celle qui permet d’entrer en contact avec Alfred Hitchcock, intercède auprès de personnalités de l’intelligentsia américaine. Elle apprend une forme de dialectique afin de séduire le petit Français. Mais complexée par un physique difficile, elle souffre de ne pouvoir faire naître en lui d’autres sentiments que l’amitié. Bien au-delà des considérations professionnelles, pourtant passionnantes, qu’échangent Scott et Truffaut, c’est la puissance de l’impossible qui fait le prix de cette correspondance. Et l’on est ému de savoir qu’à sa mort, en 1987, Helen Scott fut inhumée au cimetière de Montmartre, loin de son New York natal, à quelques mètres seulement de son Truffaut chéri.

« Avec tout cela, vous insurgez-vous déjà, le protestantisme a bon dos ! Où est-il ? Notre protestantisme tant aimé ? » Voyons… Mais il est partout ! Dans la façon de lire et la façon d’écrire.

Une bonne question vient à l’esprit : existe-t-il une manière protestante d’écrire ? Il suffit de se rappeler que Chamson, Gide et Chardonne étaient tous les trois calvinistes pour comprendre que rien n’est simple, que tout se complique.

A ce propos, signalons que Franck Lestringant présente ce mois-ci « La symphonie pastorale » dans la collection de poche Garnier Flammarion. « Livre noir, livre ironique, La symphonie pastorale était tout le contraire d’un livre pieux où la morale chrétienne eût été sauve, écrit Lestringant, d’un conte moral platement édifiant qui eût rabaissé l’orgueil de l’homme pour exalter la gloire de Dieu. » Voilà qui nous invite à lire ou relire ce récit, sauvage comme un échec.

Mais s’il fallait recommander quelque découverte protestante, alors sans hésiter bien sûr on citerait Pierre Loti. Mais oui, le farfelu de Rochefort, avec ses chéchias, ses narguilés de Charente-Maritime : « Ils étaient cinq, aux carrures terribles, accoudés à boire, dans une sorte de logis sombre qui sentait la saumure et la mer. » Entendez-vous déjà le roulis de la phrase emporter le voyageur ? Ouvrez « Pêcheur d’Islande », et vous nous en direz des nouvelles. Au printemps, tous les espoirs sont permis.