La gueule de l’emploi ? Disons plutôt le physique de la fonction. Ne nous fâchons pas… De nos jours, un Président ne se déplace pas sans une armée de berlines aux vitres fumées, de motards et surtout de lascars en forme d’armoires à glace dont les oreillettes grésillent à chaque pas. Le Groupe de Sécurité de la Présidence de la République (pour les intimes : GSPR) compte, si l’on en croit les sources officielles, 78 personnes, moitié gendarmes, moitié policiers. Mais durant les années de Gaulle, c’était une autre musique : quatre types, un point c’est tout.
Parce qu’ils possédaient l’allure athlétique et la mine renfrognée qu’imposait leur mission, ces braves garçons furent affublés d’un surnom comique, inspiré par un personnage de roman : des gorilles. Julien Telo et Xavier Dorison publient chez Casterman : « Les gorilles du Général ». Une grande réussite parce que cet album de bande dessinée restitue l’esprit d’une époque autant que des événements bien connus. Le scénariste et dialoguiste Xavier Dorison nous décrit de quelle manière il a travaillé.
« L’idée de ce livre – et de cette saga, puisque nous préparons déjà la suite de ce premier volet – m’est venue en voyant le documentaire de Tony Comiti : « L’histoire secrète des gardes du corps du général de Gaulle, explique Xavier Dorison. Plusieurs éléments m’ont convaincu qu’il existait, dans cette histoire, un potentiel romanesque important : la personnalité de l’Homme du 18 juin bien sûr, la fidélité que ses protecteurs lui vouent, mais encore le fait que ces mêmes protecteurs, bien qu’ayant pour certains rédigé leurs souvenirs, évoquaient très peu leur vie personnelle. D’emblée, ce sont les failles et les doutes qui les ont traversés qui m’ont intéressé. »
Mettre en lumière ces hommes de l’ombre
Soucieux de respecter la vérité des faits, Xavier Dorison a choisi de modifier le nom de ses personnages. Est-ce un paradoxe ? Pas vraiment. « Pour faire ressentir une réalité, il faut prendre des libertés, nous dit l’auteur. J’ai beaucoup d’estime pour ces hommes de l’ombre qui étaient prêts à mourir pour de Gaulle. Je voulais pouvoir mentir ou me tromper sans les vexer, sans leur faire de peine ou insulter leur mémoire. » Dans la bande dessinée, Paul Comiti, le chef du groupe, est appelé Ange Santoni ; Georges Bertier n’est autre que Roger Tessier, Henri Hachmi D’Jouder devient Alain Zerf, Raymond Sasia – qui fête cette année ses 99 ans ! – porte le nom de Max Milan, etc. Seul de Gaulle, que ses gardes du corps appelaient affectueusement « Pépère », conserve son vrai nom.
Des gorilles qui ont aussi une vie privée
Certains événements relatés sont déplacés, dans l’espace et le temps. Mais cela ne choquera pas les lecteurs attentifs à la précision historique parce que les auteurs ont voulu, suivant la formule du philosophe Michel Foucault, dire de la vérité plutôt que la vérité. « Je me suis attaché, autant que possible à reconstituer les relations entre ces personnages, nous dit encore Xavier Dorison. Leur amitié s’est construite dans l’adversité, mais aussi dans la franchise. Et je suppose qu’il leur est arrivé de se disputer. De même, si chaque case est documentée, si Julien Telo et moi nous nous sommes demandé de quelle façon les gens de ce temps-là se tenaient, glissaient leur main dans la poche de leur costume, ou tenaient un pistolet, j’ai voulu leur attribuer des histoires de couple ou de famille, des relations d’amour passagères, afin de rappeler qu’ils étaient des êtres humains, pas des robots. »
Par sa forme, l’album est contemporain : en usant de la technique dite des bords perdus, par laquelle une image touche le bord de la page, ou bien d’inserts de textes ou de dessins, les auteurs ont voulu éviter le travers de la désuétude. De la même façon, les propos tenus par les gorilles évoquent le parler populaire des années soixante, mais jamais ne versent dans le cliché, celui des traductions de Marcel Duhamel pour la Série noire d’une part, celui de Michel Audiard de l’autre.
Un hommage à l’influence du général de Gaulle
Cette bande dessinée ne réjouira pas que les nostalgiques. Et pour avoir vu, sur les chaises de la librairie Kroki, à Angers, plusieurs lecteurs se plonger dans l’album avec passion, nous avons la conviction que toutes les générations peuvent lui trouver du charme. « L’influence du général de Gaulle est encore extrêmement forte, estime Xavier Dorison. Nous lui devons nos institutions, mais aussi notre indépendance énergétique et militaire, une longueur de vue politique qui devrait nous inspirer davantage. »
A cela bien sûr, on ajoutera son humanité dans le domaine privé. Rude ? Certes. Mais l’homme qui, perdant sa fille trisomique, déclare : « maintenant, elle est comme les autres », n’était pas le monstre froid que l’on décrit parfois. Cette bande dessinée lui rend un hommage implicite et brillant. Vite ! La suite !
A lire : « Les Gorilles du général », Julien Telo, Xavier Dorison (couleurs : Gaétan Georges) Casterman 96 p. 21,95 €
A écouter aussi :