Écrire dans un journal, c’est vivre avec l’éphémère, tant il est vrai que les hebdomadaires ou les quotidiens finissent toujours par emballer le poisson – sauf Réforme, la chose est bien connue. Tout au contraire, écrire un journal, c’est parier sur la postérité, considérer que dix années, dix siècles après sa propre mort, une femme ou un homme lira ce que l’on se confie, le soir ou le matin, dans le secret d’une chambre. André Gide à ce jeu fut le meilleur. Autant le bonhomme était pataud quand il se lançait à l’assaut du roman – Les Faux-monnayeurs pèse des tonnes –, autant l’homme de lettres s’éveillait quand il s’agissait de noter sur un carnet le fruit d’une journée. Certes, le génie ne s’affiche pas à chaque page, mais l’ordinaire y adopte un ton joyeux, ce swing à nul autre pareil. Tenez, voici ce qu’il observe : « Si seulement le souci du peu de temps qu’il me reste à vivre, ne venait pas sans cesse arrêter, couper tout élan, je me sentirais encore assez jeune et somme toute mieux portant qu’au temps des longs projets et des vastes pensées. »
Quelques jours passent et le mélomane s’épanche : « Parlons plus […]