De l’histoire militaire et religieuse avec Turenne, à l’élégance équestre du Cadre noir, de la Bretagne racontée avec érudition et légèreté à la poésie ardente de René Char, la sélection mêle savoir, plaisir et esprit. Elle s’ouvre aussi à l’insolite et à la gourmandise avec À table avec la Bible.
Un grand capitaine à l’ombre du protestantisme
Quelle que soit la saison, rien n’est délicieux comme de lutter contre les idées reçues. Quand nos concitoyens dépeignent les protestants sous les traits de banquiers, d’entrepreneurs épris de bénéfices plutôt que d’aventure, offrez-leur « Turenne, génie militaire et mentor de Louis XIV », d’Arnaud Blin (Tallandier, 525p. 26,90 €). L’homme qu’admirait Napoléon fut élevé dans le protestantisme.

A propos de l’enfance de ce grand chef militaire et de ses proches, Arnaud Blin note : « La religion Réformée et ses rites en constituaient un élément essentiel qui leur offrait des repères solides permettant d’assurer un quotidien familier et rassurant pour cette famille unie, solidaire et, d’après ce que l’on peut observer de sa correspondance, plutôt harmonieuse. L’éducation religieuse de Turenne, et de son frère et ses sœurs, fut assurée par le pasteur de la ville de Sedan, Rambour. Chaque soir, les enfants récitaient des psaumes dans la chambre de leurs parents. » Les sceptiques ou les moqueurs vous rétorqueront peut-être que Turenne se fit catholique. Laissez-les jacasser. La conversion de l’homme de guerre ne fut probablement que de façade et cet illustre Français, dont une des rues les plus longues de Paris porte le nom, jamais ne versa dans l’hostilité, la méfiance que les convertis peuvent ruminer contre leur foi d’origine.
Aux sources protestantes de l’élégance française
Autre façon de combattre les clichés : montrer que les plus augustes références de l’aristocratie nationale ont vu le jour à la lumière de nos princes calvinistes. Guillaume Picon publie « Le Cadre noir, deux cents ans d’histoire » (Albin Michel 218 p. 45 €).

Ces mots qui désignent un art de vivre, des gestes, un mouvement, cette élégance un peu raide, école qui, sans complexe, en remontre à la Portugaise, à l’Espagnole, oui, cet univers dont le cheval est roi, Saumur, a pris naissance à l’initiative d’Henri IV, qui considérait l’art équestre comme un des piliers de la bonne éducation.
Le théologien Philippe Duplessis-Mornay, compagnon de route militaire du Vert-Galant, fonda l’Académie d’équitation dont les bords de Loire aujourd’hui s’enorgueillissent à juste titre. Oh bien sûr, au fil du Grand Siècle, Versailles a pris sa revanche – et pas seulement, nous le savons, dans le domaine du cheval. Ce n’est que le 10 mars 1825, il y a donc deux siècles, que fut signée l’ordonnance officialisant la création de l’établissement que nous connaissons aujourd’hui. Charles X n’est pas notre roi préféré, c’est le moins que l’on puisse dire, mais rendons lui cet hommage d’avoir eu la juste intuition sur ce point-là. L’ouvrage illustré de Guillaume Picon nous explique par le menu la mise en place des structures, des techniques et des ambitions de cette haute école. Bleu, d’or, on peut dire que ce Cadre en a vu de toutes les couleurs, avant d’adopter le noir, sous la double inspiration du baron de Vaux, l’auteur de « L’éducation en France, les écoles de cavalerie », en 1896 et du commandant de Contades, écuyer en chef de l’Académie, qui imposa le port d’uniformes noirs en 1898. Au-delà de la tradition, le sourire des écuyères et des écuyers fait plaisir à voir, invite à visiter ce qui peut passer pour un château secret de notre Loire.
Voyage érudit au pays des légendes
Aux amoureux des livres écrits de main de maître et cependant légers, fruit d’années de recherches et d’études mais qui ne se donnent jamais de grands airs, offrez de Joël Cornette « Une histoire de la Bretagne » (Eyrolles, 224 p. 22,90 €).

Avec un talent qui devrait lui valoir une réputation nationale dépassant le cercle des spécialistes parce qu’il est un de nos plus grands écrivains d’histoire, Cornette nous entraîne à travers les paysages et le temps, les pratiques et l’imaginaire. Les coquillages de Téviec, un tableau de chouan, Bécassine évidemment, tout y passe avec amour, humour et science. Un régal de lecture.
La poésie comme arme de résistance
A part quoi René Char est toujours avec nous. « Fureur et Mystère » paraît chez « Poésie/Gallimard » dans une édition de Noël que les passionnés d’anglicisme ont baptisée « Collector ».

Ecoutez « Jeunesse » : « Loin de l’embuscade des tuiles et de l’aumône des calvaires, vous vous donnez naissance, otages des oiseaux, fontaines. » Voici « Le loriot » : Le loriot entra dans la capitale de l’aube. L’épée de son chant ferma le lit triste. Tout à jamais prit fin ». C’est un recueil de la guerre. « Char devenu capitaine Alexandre, colosse à la plume d’argile, tient vaillamment son arme, écrit en préface Eric Fottorino. Frappe son cœur où Musset avant lui voyait le génie. Cela donne 237 perles diamantées, taillées au ciseau de l’urgence, 237 injonctions, invitations, illusions et désillusions, 237 vade-mecum pour époque trouble, avec cette acmé du dernier nombre qui libère le poète entravé de sa jaillissante vérité : « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté ». Hypnos, c’est lui. »
Le charme intact des livres d’hier
Déjà vient le moment de préparer la fête. Vous manque-t-il des idées ? N’oubliez pas l’insolite, l’esprit de décalage. Ainsi de vieux ouvrages d’autrefois, disponibles encore : Kléber Haendes et son Histoire de la littérature française, Roger Vaillant et ses romans, « Le Bal du Comte d’Orgel », de Radiguet (pourquoi se contenter du « Diable au corps » ?) ou bien encore « Venises » de Morand.
Quand la cuisine devient partage
« Tout cela, c’est bien joli, pensez-vous peut-être, mais à Noël, on ne mange pas que des pages. » Voilà pourquoi nous vous recommandons chaudement l’un des livres de l’année dernière: « A table avec la Bible », de notre camarade Jean-Luc Gadreau (éditions Biblio 120 p. 38 €). Des recettes originales, chaleureuses, accessibles, en un mot reflets de leur auteur.

Et puisqu’en France tout finit par des chansons, la somme de Serge Elhaïk, « Les arrangeurs de la chanson française » (Textuel, 2160 p. 55 €) ravira toutes les générations. Qui n’a pas fredonné quelque ritournelle en ignorant le nom d’André Popp, Alain Goraguer, Jean-Michel Defaye, Jean-Claude Petit, Jean-Claude Vannier, Gabriel Yared ? Il était temps de faire connaître et de rendre hommage à ces grands musiciens de l’ombre. Un des leurs vient de nous quitter, Christian Gaubert. C’est à sa mémoire que nous dédions ces derniers mots.
