Le courage n’a pas de couleur. Il touche à la semblance d’une grâce toutes les vulnérabilités, renverse les montagnes – de violence et de haine, de souffrance quotidienne. Il se révèle un jour, une nuit, parfois se construit pas à pas, mais transforme par sa révélation même toutes les lignes d’un paysage immobile. Aux Etats-Unis comme ici, Rosa Parks est l’un des noms que prend la justice. Un modèle de fierté, de détermination ? Sans doute. Mais une femme avant tout, qui dut se battre pour faire admettre sa dignité par ceux qui lui contestaient son humanité même. La biographie que lui consacre Caroline Rolland-Diamond donne à réfléchir à chacun.
« Tuskegee, Alabama, 4 février 1913. Le temps est doux sur la petite ville du sud des Etats-Unis quand James et Leona Mc Cauley accueillent leur premier enfant, une fille qu’ils prénomment Rosa Louise, en hommage à ses deux grands-mères Rose et Louisa. » Voilà. Tout commence comme ça. « Ce n’est pas par hasard que James et Leona ont choisi de s’installer à Tuskegee, pourtant à quatre-vingts kilomètres du lieu de leur rencontre, alors qu’ils auraient pu élire domicile à Montgomery, la capitale de l’Etat située à seulement trente kilomètres », écrit Caroline Rolland-Diamond.
Une enfance protégée
En cette bourgade, la ségrégation s’applique moins douloureusement, permet aux afro-américains de bénéficier de moins mauvaises possibilités d’éducation. L’origine familiale est complexe, l’arrière-grand-père de Rosa, d’origine irlandaise, ayant épousé une ancienne esclave. Métisse, une place à part…
« De confession méthodiste, les Edwards fréquentent l’African Methodist Episcopal (AME) Church, observe encore l’autrice. Rosa y est baptisée lorsqu’elle a deux ans. » Mais le pasteur est obligé de se déplacer d’une paroisse à l’autre, ce qui conduit la famille à suivre aussi le culte baptiste du coin. Aux bonnes âmes qui, de nos jours en France, ironisent à propos de la ferveur évangélique, il est bon de rappeler comme ces églises furent des havres de paix véritables, puisqu’en ces lieux seuls les afro-américains se trouvaient en sécurité, les partisans du Ku-Klux-Klan fusillant à tour de bras, comme elles permirent aussi l’éducation des enfants, comme elles ont protégé sur un plan moral, assurant de leur dignité des êtres persécutés, menacés de mort à chaque instant.
L’école, un chemin d’émancipation
Notons que Rosa devient l’élève, à onze ans, d’une école de Montgomery, Miss White’s school, financée par un philanthrope, Julis Rosenwald, fils d’immigrés juifs allemands : « Fervent admirateur de Booker T. Washington dont il finance le développement du Tuskegee Institute, Rosenwald se passionne pour l’éducation des afro-américains, souligne Caroline Rolland-Diamond. Convaincu que là est la clé de l’avancement de la communauté noire, il crée un fonds dédié à la création d’écoles. Il finance aussi des intellectuels et des artistes noirs de premier plan… » Combien de fois faudra-t-il dire que les premiers et principaux soutiens de la cause afro-américaines, au siècle dernier, mais encore aujourd’hui, sont les juifs ?
Le 1er décembre 1955 : un geste qui change l’Histoire
Le récit que Caroline Rolland-Diamond nous offre de l’événement du 1er décembre 1955 est bouleversant par sa grande simplicité. Rosa, quarante-deux ans, qui, de retour d’une journée de travail au grand magasin de Montgomery Fair, a besoin de s’asseoir dans un autobus, entre dans l’Histoire. Installée dans une rangée réservée aux blancs, tandis qu’un homme blanc voyage debout, Rosa refuse de céder sa place. « Le conducteur lui demande avec insistance si elle compte se lever. « Non répond-elle. – Alors je vais vous faire arrêter, poursuit-il. – Allez-y. » Ce sont les seules paroles qui s’échangent. A ce stade, Rosa ignore le nom du conducteur qui sort du bus pour attendre quelques minutes l’arrivée de la police. Rosa, sûr de sa décision, reste sur son siège sans bouger. »
Plus tard, Mrs Parks apportera son soutien au Black power. Mais ce n’est pas ce versant de son engagement qui demeure aujourd’hui. « Rosa la radicale, l’admiratrice de Malcolm X qui comprend, sans l’encourager, la violence des émeutiers de Detroit en 1967, disparaît derrière Rosa la douce qui résiste calmement et dignement aux humiliations de la ségrégation au côté de Martin Luther King », observe encore Caroline Rolland-Diamond.
Une lutte toujours actuelle
Ce livre nous informe avec force détails sur la lutte collective menée, sur les succès obtenus, les victoires à conquérir pour demain. Rien n’est jamais gagné. Le discours de Donald Trump et de ses partisans le démontrent. Dans notre pays même, les paroles de rejet se multiplient, qui menacent notre équilibre collectif. « Dans toute la France, mais en particulier dans les banlieues des grandes villes du pays, les élus locaux, reconnaissant le risque de fragmentation sociale, réfléchissent aux moyens de s’assurer que l’ensemble de la population quelles que soient ses origines se reconnaissent dans ses valeurs de la République et dans le projet national, écrit Caroline Rolland-Diamond ; la figure de Rosa Parks s’impose dans les esprits. »
La France porte un message universaliste. Elle peut accueillir à bras ouvert l’exemple de Rosa Parks sans craindre de perdre son âme. Le courage a la couleur de l’amour.
A lire : « Rosa Parks », par Caroline Rolland-Diamond, Folio, 270 p. 10,50 €
