Pierre-Olivier Léchot enseigne l’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

En introduction, il présente son travail, suscité par l’actualité, comme aussi une manière de discuter la thèse de « l’orientalisme » d’Edward Saïd en manifestant les limites historiques, géographiques et religieuses de cette critique de l’attitude occidentale.

Il souligne trois points de rencontre entre protestantisme et islam, qui justifie ce travail de reprise organisée d’autres travaux : historiquement la conjonction des victoires ottomanes et l’émergence de la Réforme, religieusement la compréhension du protestantisme et de l’islam comme des hérésies qui ont réussi, et enfin le retour aux textes bibliques appuyés parfois par un recours à l’arabe coranique.

Il organise son propos en trois chapitres scandés historiquement : l’islam au temps des Réformes, l’islam à l’âge des confessions, l’islam des lumières protestantes.

Dans le premier chapitre, il souligne l’approche apocalyptique de Luther vis-à-vis de l’islam à cause de l’expansion ottomane, et son renvoi dos à dos du Pape et de Mahomet. Mais il souligne aussi une curiosité érudite envers son histoire (Bibliander) avec le souci de se situer en face de la polémique catholique qui propose des parallèles avec le protestantisme. Enfin l’étude de l’islam ouvre la voie à un discours (Servet) sur la corruption du christianisme qui aura des suites importantes. « Répulsion/fascination » à l’endroit de l’islam.

Dans le second chapitre, l’auteur décrit avec précision les recherches visant à une meilleure connaissance de l’arabe et à  une édition du Coran, avec la collecte et la circulation des manuscrits, dans lesquelles les villes protestantes ont une certaine place, et comment le rapport à l’arabe est mobilisé pour comprendre les difficultés du texte hébraïque de la Bible, mais aussi comment les intérêts économiques et politiques s’entrecroisent avec les préoccupations scientifiques. Il décrit surtout la manière dont une meilleure connaissance de l’islam (Hottinger) est utilisée dans les débats théologiques : les antitrinitaires et sociniens y puisent des arguments d’une corruption du christianisme, les polémiques contre eux auront pour effet paradoxal de mettre en lumière pour le siècle suivant les arguments possibles d’une une proximité entre les religions, même si le christianisme est encore conçu comme l’aboutissement nécessaire. Des pages sur les démarches de conversion éclairent les présupposés des uns et des autres.

Dans le troisième chapitre, intitulé « récupération, sympathie et essentialisation », l’auteur présente le paradoxe du XVIIIe siècle : « discours en faveur de la tolérance et fascination orientaliste y voisinent avec une approche dominatrice et un regard condescendant envers les musulmans ». L’érudition arabisante devient une arme entre les mains des contempteurs du christianisme. La tolérance ottomane sert de contre modèle du christianisme. Mais surtout, au travers des travaux de Lessing et de Herder, l’auteur décrit les différentes manières dont le rapport à l’islam conduit à des positions philosophiques-théologiques diverses : religion naturelle à découvrir dans les expressions religieuses (Nathan le sage de Lessing) ou essentialisation des différentes cultures religieuses qui peut conduire à un orientalisme condescendant.

Une brève conclusion précède un index des noms et une bibliographie des sources et littérature secondaire.

Un ouvrage qui propose de suivre avec érudition les méandres des rapports entre protestantisme et islam sur trois siècles. Mais qui ouvre aussi au non-spécialiste des points de vue passionnants.