La cinéaste Sophie Fillières nous a quittée à l’âge de 58 ans il y a juste un an. Luttant contre une longue maladie qui s’est progressivement aggravée pendant le tournage, elle est entrée à l’hôpital le jour où les caméras ont cessé de tourner. Elle n’en est jamais sortie.

Barberie Bichette, qu’on appelle à son grand dam Barbie, a peut-être été belle, peut-être été aimée, peut-être été une bonne mère pour ses enfants, une collègue fiable, une grande amoureuse, oui peut-être. Aujourd’hui, c’est parfois noir, c’est parfois violent, c’est souvent absurde et ça lui fait tout drôle d’avoir 55 ans.

La Barbie de Ma vie, ma gueule se situe à mille lieux de celle de Greta Gerwig, moins parfaite, simplement humaine mais tellement touchante, une Barbie « au bout de sa vie »… Cette Barbie, magistralement interprétée par Agnès Jaoui, est l’héroïne de l’ultime et magnifique film de Sophie Fillières.

Une histoire en trois mouvements dans la vie d’une femme d’âge mûr (comme on dit bêtement…), remettant sa vie en question, alors qu’une profonde forme de dépression l’envahie.

Tout à la fois, comédie et tragédie, comme une épiphanie de l’existence, Ma vie, ma gueule est une œuvre formidablement émouvante quand on lit entre lignes, quand on se laisse porter par le mouvement et les ruptures offertes, quand on laisse l’humour faire son œuvre non pour seulement amuser mais aller plus en profondeur, dans des zones moins évidentes et personnelles. C’est ce qui s’apparente à un autoportrait intime en guise de testament auquel Agnès Jaoui prête corps et âme, avec l’accompagnement au montage des deux enfants de Sophie Fillières.

Une femmes à la croisée des chemins

Jaoui joue donc le rôle de Barberie Bichette, que ses amis appellent Barbie. Elle a 55 ans et se trouve à la croisée des chemins. Ses enfants sont grands, elle est séparée de son mari et son travail « alimentaire » dans la publicité ne la passionne pas. Ce qui la porte dans sa vie, c’est la poésie… Ses poèmes débordent d’imagination, précisément parce qu’elle vit dans ses rêves. Ma vie, ma gueule s’ouvre sur elle fixant l’écran de son ordinateur en essayant d’écrire le titre de son scénario et en se demandant quelle police de caractères utiliser – tandis qu’une paire de lunettes dont un côté est cassé est accrochée à son nez. La période est compliquée à vivre, et une accumulation de petites contrariétés fera boule de neige. Une rencontre fortuite avec un ancien amoureux (dont elle ne se souvient pas), notamment, est la goutte d’eau qui fait déborder le vase jusqu’à la conduire dans un hôpital psychiatrique, puis dans un voyage final cocasse à travers la Manche vers l’Angleterre et l’Écosse.

Ma vie ma gueule ne plaira (hélas) sans doute pas à tous, mais il est pour moi une très belle proposition pour percevoir les états d’âme que la dépression peut faire naître, avec toute la rudesse qui alors apparait. Et choisir de finir de la sorte, au son d’un ukulele dans la lande écossaise et, surtout, avec le grand Philippe Katerine (finir un tableau… devient une habitude pour lui, semble-t-il) donne une pointe d’espérance plutôt bien venue.