Le récit de l’amour aussi grandiose que téméraire qui unira toute leur vie le chef d’orchestre et compositeur Leonard Bernstein (Bradley Cooper) et Felicia Montealegre Cohn Bernstein (Cary Mulligan).
Dès la première image de Maestro, nous savons que nous sommes entre de bonnes mains. Oui, certains films sont comme cela. Ils coulent sans effort, nous entraînant dans leur sillage visuel et sonore. Rien n’est forcé, les choses vont de soi et font du bien. Le film de Bradley Cooper (qui l’a réalisé, coécrit et y interprète le Maestro) est centré sur la relation entre Bernstein et Felicia Montealegre, une actrice chilienne, qui sera son épouse pendant vingt-sept ans. Il ne s’agissait pas d’un mariage conventionnel. Lenny (le surnom que lui donnent sa famille et son public) était ouvertement bisexuel. À peine cinq minutes après le début du film, on le voit se réveiller, au lit, avec un autre homme. Plus tard, s’adressant au bébé de ses amis, il dira : « J’ai un secret à te dire : j’ai couché avec tes deux parents ; j’ai trop d’amour à donner… mais j’me soigne ! » Mais Felicia, faisant preuve d’une tolérance à toute épreuve, accepte cette union en toute connaissance de cause. Pour elle, l’amour est inconditionnel. Elle sera le maestro de son cœur et de son âme au cours de leur relation complexe, marquée par les liaisons incessantes de Bernstein avec des hommes.
Bradley Cooper, avec l’aide de quelques retouches physiques, incarne parfaitement le Leonard Bernstein dont nous nous souvenons, notamment dans la joie intense et son enthousiasme corporel qui se dégage dans la direction, qui ont fait de lui le chef d’orchestre le plus reconnaissable au monde. Mais il est tout aussi efficace dans le rôle du « Lenny privé », avec ses paradoxes et ses ambiguïtés qui font échos merveilleusement bien à la citation qui ouvre le film : « Une œuvre d’art, n’apporte pas de réponses, elle questionne. Et son sens profond réside dans la tension entre des réponses contradictoires ». Car c’est bien ce qui a passionné, semble-t-il, le cinéaste interprète chez Bernstein, cette question de la tension qu’inflige le génie à la vie privée. Il est ici à la fois un monstre capable de blesser sciemment ceux qu’il aime, un charmeur irrésistible et un véritable génie musical.
À ses côtés, Carry Mulligan est sa partenaire idéale. Somptueuse, elle donne un souffle romanesque à cette femme qui soutient totalement son mari et ses enfants, mais qui, au fur et à mesure que le temps passe, commence à s’épuiser face aux escapades de Lenny. Parce que Cooper établit les enjeux de leur amour, celui-ci reste palpable au fil des années, alors que les conflits émotionnels s’enveniment lorsqu’il est de plus en plus négligent dans l’assouvissement de ses autres désirs. Même dans la scène culminante où le couple fait face à un bilan, pendant une parade de Thanksgiving, alors qu’un Snoopy gonflable géant travers l’écran à l’arrière-plan, chaque mot dit et non-dit a du poids. Certaines scènes ont ainsi la vivacité, le crépitement et l’éclat d’un grand film classique, comme si vous regardiez Cary Grant et Rosalind Russell ou Clark Gable et Claudette Colbert.
Couvrant près de cinquante ans d’histoire culturelle américaine contemporaine, Maestro puise sa partition musicale principalement dans les compositions de Bernstein : West Side Story, On the Waterfront, Candida, Fancy Free, sans oublier des extraits de diverses œuvres orchestrales et chorales et notamment l’extraordinaire direction de Bernstein pour le Résurrection de Mahler à la cathédrale d’Ely, au Royaume-Uni. Pourtant, il ne s’agit jamais d’un biopic musical. La carrière de Lenny est toujours présente en arrière-plan, mais c’est bien sa relation avec Felicia (et plus tard avec sa fille Jamie, jouée par Maya Hawke) qui constitue la colonne vertébrale narrative et émotionnelle. Et, si le son et l’histoire sont des fondamentaux, ce film est en plus tout simplement beau à regarder avec un travail remarquable de Matthew Labatique comme directeur de la photographie.
En nous racontant l’histoire d’un grand artiste et de ses proches, Bradley Cooper a, sans nul doute, touché à une forme de transcendance. Et il ne s’agit pourtant que de son deuxième film en tant que réalisateur. Le premier nous disait qu’une étoile était née… le second place cette étoile au rang de Maestro. Tout est si habilement suggéré…