D’une durée d’1h20, ce long métrage vous invite à vivre une expérience peu commune au cinéma, faite de contemplation, d’accompagnement mystique, de nature, le tout au carrefour de la vie et de la mort, mais surtout au plus près de l’amour.

Depuis la mort de Jésus, Marie-Madeleine s’est retirée hors du monde. Ses cheveux sont devenus blancs, elle se nourrit de baies, boit l’eau de pluie et dort parmi les arbres. Seule au cœur de la forêt, elle se souvient de son amour perdu. Elle cherche un chemin pour le retrouver.

Se faire un fameux Blockbuster, une bonne grosse comédie, un bon vieux western en plein été peut certainement apporter un certain plaisir bien utile. Si on se fait moins un film d’auteur (l’expression fonctionne moins bien en effet) mais que l’on s’y hasarde aussi malgré tout, histoire de goûter à autre chose, varier les plaisirs, et nourrir sa culture cinématographique, il peut sembler audacieux de proposer la sortie d’un film totalement hors des sentiers battus et même de ceux qui ne le sont pas d’ailleurs un troisième mercredi de juillet, en pleine canicule.

Bon, vous me direz, ces températures n’étaient vraisemblablement pas envisagées au moment de la programmation de la sortie de Magdala… Mais justement, à cause de tout ça, et parce que ce film vous emporte au cœur d’une forêt qui ne brule pas, mais où, au contraire la fraicheur et l’eau sont plutôt de la partie, vous avez là déjà des raisons nécessaires et suffisantes pour faire le choix d’acheter un billet dès mercredi pour le cinéma qui aura choisi de mettre le nouveau film de Damien Manivel à l’affiche. Suffisantes oui, mais pourtant d’autres raisons sont présentes… en voilà quelques-unes.

Damien Manivel crée un portrait d’une intense douceur d’une Marie-Madeleine loin des récits bibliques, imaginé comme un conte mélancolique et tendre.

Le réalisateur nous conduit à suivre cette femme dans les derniers instants de sa vie dans une forêt où elle s’est exilée, et où le souvenir de son maître tant aimé, Jésus, est là et la poursuit, la porte et la perd à la fois. Une présence qui l’habite et qu’elle recherche pourtant par-dessus tout, en même temps. Cette contemplation tranquille qui nous est proposée, cette démarche méditative, ne fournit que les grandes lignes de l’information narrative.

Elle se construit d’ailleurs autant par l’imagination de Manivel que par celle du spectateur. Si nous voyons ce que Marie fait, nous ne pouvons qu’imaginer les pensées qui se trouvent dans sa tête. Jusqu’à ce qu’elle ne crie vers le ciel « Mon amour, mon amour… », dans une scène d’une intensité et d’une beauté extrême, le film enveloppe le spectateur de simples bruissements de feuilles, de brindilles et d’une brise occasionnelle, tandis que Marie rampe, marche, dort, mange des mûres, tousse, boit quelques gouttes de pluie, urine et pleure méthodiquement dans cette forêt automnale, nous encourageant sans doute à considérer la matérialité délibérément profane de son image, de sa situation et de son environnement.

C’est dans cette essence brute de l’image et du corps qui cherche à survivre que Damien Manivel a décidé de plonger la célèbre danseuse et chorégraphe Elsa Wolliaston (qui a déjà collaboré avec lui sur son court métrage La Dame au chien (2011) et sur son long métrage Les Enfants d’Isadora (2019), récompensé par le prix du meilleur réalisateur à Locarno) dans le rôle de Magdala. Elsa Wolliaston est une grande danseuse et chorégraphe américaine, née en 1945 en Jamaïque.

Elle est une figure de la danse contemporaine africaine. Présente dans quasiment tous les plans, elle incarne avec une force incroyable cette femme seule qui garde foi et amour jusqu’au bout et lui apporte une grâce dans chacun de ces mouvements, même si nous pouvons voir qu’elle lutte elle-même contre le vieillissement.

Pour aboutir dans sa démarche, Manivel a apporté également une attention très nette au son afin de nous donner d’entendre la respiration de Marie, ses cris, mais aussi les moindres sons de cette forêt qui joue un véritable rôle à part entière dans cette histoire. C’est le son de la pluie, les bruits de pas, le vent dans les arbres, les insectes… puis la voix arrive, parfois des cris, parfois des petits murmures en araméens. Manivel laisse aussi périodiquement s’immiscer des éléments plus « mystiques », notamment des souvenirs d’une autre forêt plus ensoleillée, remplie de la chaleur du désir de la jeunesse, ainsi que des souvenirs plus angoissés du Christ, lorsque Marie évoque par exemple ses pieds cloués.

On pourra aussi relever les deux morceaux de musique qui viennent s’immiscer et rompre le silence ou les bruits naturels… Le joueur de vielle tout d’abord, de Franz Schubert, dont les paroles évoquent une âme vieillissante et son instrument, et l’autre, O Solitude, My Sweetest Choice, d’Henry Purcell, tout en mélancolie, sont là comme une sorte de réconfort paradoxal dans la solitude de Marie. Mais finalement, toutes ces choses mises ensemble font ici de cette icône des évangiles plus qu’un simple symbole de croyance religieuse.

Que l’on ait la foi ou non, Manivel en fait comprendre la puissance et la beauté. Avec quelques rares lignes de dialogue, et une lenteur assumée, un minimalisme à toute épreuve, ce genre de cinéma ne cherche évidemment à séduire le grand public, mais il a pourtant beaucoup à offrir aux amateurs de drame méditatif et aux curieux prêt à se lancer dans le risque de l’expérience mystique et sensorielle qui devient une ode à la nature et à l’art qui cultive les esprits ouverts et les amoureux de la création.