« Que serait l’esprit sportif et collectif, s’il n’y avait pas le goût du partage ? », questionne Pierre Korzilius, directeur du pôle art et culture au Collège des Bernardins, un ancien couvent cistercien reconverti en lieu créatif. Situé au cœur du quartier latin dans le centre de Paris, l’espace est à la fois un lieu de dialogue, de débat, d’apprentissage et de création. À l’occasion des Jeux olympiques 2024 dont Paris est la ville hôte, le lieu jette une nouvelle fois des ponts en faisant dialoguer monde religieux et monde laïc à travers l’exposition « Fratelli Tutti 2024 ». Ce projet, comme d’autres auparavant (la conférence PRISME en juin 2023) est le fruit de la collaboration entre le collectif artistique Majestart et le collège des Bernardins.

Douze artistes, inspirés par l’encyclique « Fratelli Tutti » du pape François et les valeurs du sport

Portés par leur foi, les artistes ont créé une œuvre singulière, sur des supports ronds rappelant les anneaux olympiques. Des créations, émanations d’un temps de résidence de quatre jours vécu en duo, du 13 mai au 20 juin, et ouvert aux publics. Derrière la pluralité des techniques et des disciplines artistiques (peinture, sculpture, calligramme, linogravure, monotype), une même méditation.

Qu’est-ce que la fraternité universelle, la diversité réunie ? Pour Anna Favi, la réponse réside dans la tendresse, symbolisée par un câlin entre une mère et son bébé. « Je voulais aborder la fraternité sous cet aspect vraiment concret, un geste viscéral qui nous parle dans nos entrailles sans que ce soit une démarche de charité, explique l’artiste qui a utilisé la linogravure comme technique pour encrer sa toile du motif bleu. J’avais envie de parler de quelque chose qui nous unit sans qu’il y ait de hiérarchie. Au-delà de ce qui peut se passer dans notre intellect, cette envie et ce besoin d’aller vers l’autre nous concernent tous indépendamment de nos ethnies, sexes ou compositions sociales. »

La valeur de l’instant comme source de partage est aussi au cœur du travail de Pauline Ohrel, sculptrice, qui a fait émerger de la toile ronde, « des mains qui sont les outils de la fraternité. La main qui demande, qui attend, qui caresse et qui reçoit ». Ils deviennent les symboles de la possibilité du geste et de l’attention à l’autre.

De son côté, cette attention à l’autre, Emmanuel Brocart l’a mise en pratique en adoptant une démarche expérimentale. « Le grand impact de la fraternité s’est joué dans la résidence », atteste-t-il. Il signe « Dialogue », une peinture abstraite et intuitive où la joie de l’improvisation s’est mêlée aux rencontres. « Chaque personne avec laquelle j’ai échangé aura eu un impact sur le coup de pinceau qui aura suivi. Finalement on aura passé moins de temps à peindre qu’à échanger de façon gratuite avec les visiteurs et les gens du collège. Cela a ruisselé dans mon œuvre. »

Plus vite, plus haut, plus fort… ensemble

L’humanité se retrouve dans les valeurs du sport. « Plus vite, plus haut, plus fort » clame la devise olympique née du prêtre Henri Didon et attribuée aux pères des Jeux olympiques modernes, Pierre de Coubertin. L’illustratrice et coloriste Priscille de Prins la fait sienne en renversant la position du vainqueur. Soutenu, porté par son équipe, il n’est, dans son dessin « Le réel vainqueur », que le maillon final de l’abnégation de tout un collectif. Dans « Humanité rassemblée », Marie-Salomé Le Guéhennec, a choisi, elle, de se concentrer sur le cœur, organe indispensable aux athlètes. Plasticienne de formation scientifique, ses œuvres interrogent toujours sur les origines de la vie et de l’homme. « Mon travail est habituellement influencé par les peintres biomorphiques et la nature vue au microscope. Là je représente l’organe mais cela m’a paru évident. Le cœur regroupe la spiritualité, la sportivité et la fraternité. » Dans les entrailles de son œuvre, Marie-Salomé a inscrit « Imago Dei » dans de nombreuses langues, célébration de la diversité, d’une humanité rassemblée, émanation de l’amour du Christ.

Sylvain Ristori est passé maître dans la création d’œuvres à grande échelle et dans l’espace urbain. Toujours à partir de matières – et de bois essentiellement – recyclés. Pour son oeuvre « Matière vivante », qu’il expose dans l’enceinte du collège des Bernardins, il est allé dénicher dans la déchetterie de la Sorbonne, située à deux pas, du bois de récupération.

Œuvre de Sylvain Ristori
« Matière vivante » par Sylvain Ristori

« Je voulais parler de la valeur, de ce qu’on peut délaisser et par extension des individus qu’on peut délaisser, souligne-t-il. Mais aussi parler de la fraternité et de comment on peut ramener la vie, comment l’esprit peut ramener la vie dans la matière et comment ce nouvel ensemble peut voir le jour. Pour moi, le fait de nommer l’œuvre « Matière vivante » c’était l’idée de donner vie à la matière et de dire que dans la dimension spirituelle, Dieu insuffle la vie dans la matière. C’est ce parallèle là que j’ai trouvé intéressant de suggérer. »

« Voir chez l’artiste comment le thème de la fraternité selon Jésus résonnait était un critère principal de sélection », souligne Gabriel Huguet, directeur du collectif d’artistes Majestart.

« Fratelli Tutti est un projet au long cours qui a commencé en septembre dernier et qui est passé par plusieurs phases avec un jury composé de membres du collège des Bernardins et de Majestart. Nous avons réussi à rassembler une sélection d’artistes et de projets qui nous paraît pertinente tant sur le fond que sur la forme. On leur avait demandé un dossier assez étoffé, on souhaitait qu’ils soient prolixes à propos de leur démarche pour connaître ce qu’ils avaient dans le cœur. » Collective, l’exposition porte haut les valeurs d’un appel commun. Un message chrétien de l’amour de l’autre.

Isabelle Appy

« Fratelli Tutti », à voir tout l’été au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, Paris (5e).
www.collegedesbernardins.fr
www.majestart.com et www.instagram.com/majestart

Avec les œuvres de Frédéric Ardiet, Françoise Bissara-Fréreau, Emmanuel Brocart, Cécile Chiron, Anna Favi, Marie-Salomé Le Guéhennec, Hélène Menanteau, Florimond Mochel, Pauline Ohrel, Priscille de Prins, Sylvain Ristori et Noémie de Yturbe.