Il y a cent cinquante ans naissait Marcel Proust- et l’année prochaine on célèbrera le centenaire de sa mort. Une invite à lire ou relire un de nos plus grands écrivains. Deux phrases, parmi des millions d’autres choisies, comme au hasard, en portent témoignage : «Ainsi, sous la visière du Prince du Saint Empire et de l’écuyer de Franconie, ce fut le visage d’une terre aimée où s’étaient souvent arrêtés pour moi les rayons du soleil de six heures que je vis, du moins avant que le prince rhingrave et électeur palatin, fût entré. Car j’appris en quelques instants que les revenus qu’il tirait de la forêt et de la rivière peuplée de gnomes et d’ondines, de la montagne enchantée où s’élève le vieux Burg qui garde le souvenir de Luther et de Louis le Germanique, il en usait pour avoir cinq automobiles Charron, un hôtel à Paris et un à Londres, une loge le lundi à l’Opéra et une aux mardis des Français ». Toujours avec lui ce trait d’humour, qui le fait se hisser à la hauteur de ses modèles- Saint-Simon, Châteaubriand, Balzac aussi bien sûr. Prises au hasard, les phrases ? Pas sûr…
La question religieuse est présente à maintes reprises dans l’œuvre de Proust. On sait que son père était catholique et sa mère juive, qu’il fut très vite un des partisans de Dreyfus. Mais, ce que l’on sait moins, c’est son opposition subtile à la loi de Séparation.

« Proust ne se montre enthousiasmé ni par le militantisme « incroyant » de Barrès, ni par l’élan mystique de Pie X, analyse Luc Fraisse, professeur de littérature française à l’université de Strasbourg, dans son ouvrage « Proust au miroir de sa correspondance ». Il veut que les prêtres célèbrent en paix leur messe dans les églises. Son attitude relève du respect sans obédience. Rien n’autorise davantage à en faire un écrivain juif. Il a soutenu Dreyfus parce qu’il était convaincu de son innocence ; lire un journal antisémite lui semblerait une insulte à sa mère. »

La double filiation de l’écrivain, en un temps où Rome demeurait imprégné de Contre Réforme et d’un antisémitisme grand teint, pesait sans doute sur lui. Mais elle n’a pas tourné pour autant au conflit de loyauté.

Jamais de caricature 

De la même façon, ce qui l’éloignait de la culture protestante ne l’a jamais entraîné du côté de la caricature. Sur le site de l’Oratoire du Louvre, un internaute observait voici quelques années que Proust avait la dent dure à l’égard des protestants, s’appuyant sur un pastiche de Flaubert dont voici quelques lignes: « Ils ne se sentaient pas un plus vif amour de la société protestante ; elle est froide, guindée, ne donne qu’à ses pauvres, se compose exclusivement de pasteurs. Le temple ressemble trop à la maison, et la maison est triste comme le temple. » Il est vrai que la charge peut paraître lourde. Mais la phrase qui suit, teintée d’humour, trahit la tendresse de Proust: « On a toujours un pasteur au déjeuner; les domestiques font des remontrances aux maîtres en citant des versets de la bible ; ils redoutent trop la gaieté pour ne rien avoir à cacher et font sentir dans la conversation avec les Catholiques une rancune perpétuelle de la révocation de l’édit de Nantes et de la Saint Barthélémy. » D’ailleurs, dans une lettre à son ami Emile Mâle, citée dans l’ouvrage de Luc Fraisse auquel nous faisions référence, Proust associe dans une même condamnation, parlant des églises disparues, « la stupidité des protestants, la démence des archéologues, l’ignorance du clergé, l’audace des voleurs. » Comme toujours, l’auteur de La Recherche atteint son équilibre par la mise en balance des points de vue. Sans doute est-ce là le signe de sa modernité.
En cette saison 2021-2022, les hommages se multiplient. La cinéaste Elisabeth Kapnist présente ce week-end sur France 5 « Céleste et monsieur Proust », un documentaire-fiction, comme on dit de nos jours, qui s’appuie sur le témoignage magnifique et bouleversant de la gouvernante de l’écrivain.
Proust et la musique enfin ? De ce mariage d’amour, il est impossible en quelques mots de parler. Signalons que Jean-Michel Verneiges, directeur du Festival de Laon, intitule son édition 2021 « Proust du côté de la musique ». Il explique sa démarche ainsi : « De la cathédrale de Laon aux Fables de La Fontaine, de Coucy-le Château à Racine, jusqu’au Tardenois et à la Grande Guerre, c’est tout un monde de fiction dont certaines références évoquent le département » souligne cet animateur formidable.
Admiratrice de La Recherche, Anne-Lise Gastaldi n’est pas seulement pianiste et protestante. Elle dirige les Journées Musicales Marcel Proust, qui se tiendront les 8, 9 et 10 octobre à Cabourg. Associant littérature et musique, cette manifestation présentera notamment des transpositions de Gustav Mahler. « Les points communs sont innombrables, qui relient Proust et le compositeur autrichien, fait-elle observer; le goût de la solitude, l’absolue vocation artistique, le croisement de leurs passions- l’écrivain mélomane, le compositeur épris de littérature- le rapport singulier qu’ils entretiennent avec le temps. Nous avons voulu sortir des sentiers battus. Notre public, à la fois régional, national, mais aussi international, aime approcher des territoires inexplorés. » Tous les chemins mènent à Balbec !

Pour tout savoir sur les festivals de musique:
www.festival-laon.fr
www.amisdevinteuil.fr