Le film se présente comme un chef-d’œuvre moderne, démesuré, à la croisée des genres et des époques, ouvrant aussi inévitablement à la critique. Coppola n’a rien à prouver, rien à gagner ! Alors il nous offre une œuvre gigantesque aux allures de testament. Mais au-delà de ses prouesses techniques et de son casting époustouflant, c’est surtout la fable universelle sous-jacente à l’œuvre qui marque les esprits.

« Megalopolis » est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.

Megalopolis ne se contente pas d’être un film dystopique ou futuriste. Bien au contraire, c’est une véritable fable contemporaine sur la nature humaine, nos sociétés et notre rapport au progrès.

Le film se situe dans une mégalopole en pleine reconstruction après une catastrophe majeure. Cette ville, à l’image de New York, devient le théâtre d’un conflit entre deux visions du monde : l’une, profondément utopique, qui croit en l’idée d’une cité idéale, où les valeurs d’harmonie et de beauté prévalent ; et l’autre, plus pragmatique, attachée à l’ordre établi et au pouvoir économique.

Réinventer la ville et le vivre-ensemble

Au cœur de cette lutte, Coppola développe un message fort : la reconstruction, qu’elle soit physique ou morale, ne peut réussir sans une profonde réinvention de nos principes de vie en communauté. Ce message résonne particulièrement dans un monde postpandémique, où les notions de solidarité, de vivre-ensemble et de résilience sont plus que jamais d’actualité. Megalopolis nous invite ainsi à repenser la ville, non pas comme un espace de contraintes, mais comme une utopie possible où l’homme retrouve sa pleine potentialité.

L’utopie présentée ne se veut aucunement naïve. Elle pose la question de l’idéal humain dans un monde souvent corrompu par le cynisme. Le film explore des thèmes complexes, comme l’interaction entre pouvoir, technologie et humanité. Mais Coppola, en véritable conteur visionnaire, n’oublie jamais de laisser une porte ouverte à l’espoir.

La cité idéale n’est pas une chimère inatteignable, mais une possibilité que chacun d’entre nous peut contribuer à façonner. Ce n’est pas tant la technologie ou l’architecture qui définissent cette ville de rêve, mais plutôt les valeurs d’inclusion, de coopération et d’innovation. En cela, Megalopolis a ce potentiel parabolique, où la quête de perfection urbaine se transforme en réflexion philosophique sur la quête de sens. Les citoyens de la ville, à travers leurs luttes et leurs espoirs, deviennent les vecteurs de cette renaissance tant attendue.

Ce message universel n’aurait pas pu trouver un écho aussi puissant sans l’incarnation magistrale des personnages. Coppola a su naturellement s’entourer d’une distribution prestigieuse qui met en lumière l’humanité de ses protagonistes. Les performances de stars comme Adam Driver, Nathalie Emmanuel, et Aubrey Plaza ajoutent une profondeur émotionnelle à cette grande fresque urbaine. Chaque rôle symbolise une facette de cette lutte entre l’ancien et le nouveau monde. Ils sont à la fois des héros et des anti-héros, pris dans les contradictions d’un système qu’ils cherchent à dépasser, mais dont ils restent profondément marqués.

La communauté comme symbole d’espérance

L’un des aspects les plus fascinants est aussi la manière dont le film aborde la notion de communauté. Contrairement à d’autres films futuristes qui dépeignent souvent des villes froides, dominées par la technologie et l’individualisme, Coppola imagine une cité où le collectif prime sur l’individuel.

C’est une utopie fondée sur la collaboration, où les citoyens sont acteurs de leur propre destin, où les décisions se prennent ensemble pour le bien commun.

Cette vision optimiste, presque idéalisée, rappelle que même face à la décadence ou au chaos, l’humanité peut trouver des solutions en puisant dans ses valeurs les plus nobles. La communauté devient alors le vecteur de l’espoir, l’élément clé de la renaissance de Megalopolis. Et c’est cette croyance inébranlable en la capacité de l’homme à surmonter ses travers pour construire un avenir meilleur qui fait sans doute de ce film une œuvre profondément inspirante.

Pourtant, si Coppola a toujours cru en l’Amérique, sa foi semble s’éroder de seconde en seconde (et on peut le comprendre). Dans le contexte américain, n’oublions pas non plus que Coppola est un démocrate convaincu et engagé. Alors Megalopolis est une manière d’arrêter le temps avant qu’il ne soit trop tard. « Je ne laisserai pas le temps dominer mes pensées », se répète César comme un mantra compulsif. « Les artistes ne peuvent jamais perdre le contrôle du temps », lui dit Julia. « Les peintres la figent, les poètes la chantent, les musiciens la rythment… », dit-elle mais que font les cinéastes ? Ils l’arrêtent pour nous rappeler sans doute que nous ne pouvons hélas pas le faire dans la vraie vie.

En explorant magistralement ainsi le rapport au temps, à la fois comme force inéluctable et comme moment suspendu, Coppola reconnaît alors la futilité de la tentative, mais sa fable peut fonctionner.

La ville en reconstruction devient une métaphore du temps qui passe : un cycle de destruction et de renaissance.

Et au cœur de cette dynamique, Coppola parvient à créer des instants où le temps semble s’arrêter — des moments de pure contemplation où l’agitation du monde s’efface. Ces pauses révèlent la beauté d’un présent fragile, où chaque décision, chaque souffle, semble porteur d’éternité. Ce jeu entre le temps qui file et ces instants figés incite à réfléchir sur notre propre existence : faut-il se laisser emporter par le flot du temps ou tenter de capturer ces précieuses bulles d’éternité dans un monde en constante mutation ?

On le comprend très vite, Francis Ford Coppola se fait plaisir et ne lésine en rien sur quoi que ce soit, préférant l’excès à la sobriété, devenant en quelque sorte le jouet de ce qu’il dénonce… Mais son œuvre testament est bien plus qu’un simple film de science-fiction ou une fresque urbaine.

C’est un récit sur le pouvoir des idées et la force des rêves, même dans un monde brisé. Il nous offre ici une réflexion lumineuse sur la capacité de l’homme à réinventer son environnement, à transcender les crises et à imaginer des futurs alternatifs. En célébrant la puissance de la communauté, la beauté de l’utopie et la force de la résilience, Megalopolis se pose comme un film profondément optimiste, dans la lignée des grands récits humanistes. Un film qui, à l’instar des œuvres mythiques qui ont forgé notre culture, laisse une empreinte durable, en nous rappelant que, même au milieu des ruines, il est toujours possible de reconstruire un monde meilleur.