Ô jeunesse, jeunesse… quand Arielle Beck est montée sur la scène des Greniers Saint-Jean, durant la quatrième édition du festival angevin PianoPolis, on a tremblé. Cette brindille en habit de lumière, aux cheveux peignés sauvages, aux yeux limpides, qui marchait d’un pas rapide et fluide, avait-elle de quoi porter les partitions jusqu’au sommet de la gloire ? Diable ! Seize ans, ce n’est pas beaucoup. Pour interpréter les grands compositeurs, est-ce assez ? Vraiment ? Et si jamais l’artiste échouait ? Que devrions-nous dire ? Hagiographe, on la couvrirait de roses trompeuses ; négatif, on passerait pour l’abruti des chaumières, empereur des élégances du cirque, préférant baisser le pouce plutôt que de saluer le talent d’une jeune pousse… Qu’importe après tout le point de vue d’un journaliste. Seul ici doit compter le témoignage. Arielle Beck a bien voulu livrer quelques confidences à l’attention de Regards protestants. Généreuse et concentrée, rieuse, une adolescente. C’était au printemps, ses paroles n’ont pas pris une ride. Elle non plus.

Humilié, technique et lâcher prise

« Dès l’âge de neuf ans, j’ai donné des récitals et, pour moi, travailler dans ce but m’est naturel, dit-elle pour commencer. Je ne dirai pas que c’est banal, non, parce que tout de même chaque rendez-vous revêt un caractère exceptionnel, mais c’est normal. » Construire une interprétation personnelle exige de tous les artistes une pensée, des recherches, une mise en dialogue. Pour une personne ayant peu vécu, l’épreuve paraît d’autant plus périlleuse. Peut-on combler le manque de maturité par l’exploration des gouffres intimes ? « Je commence toujours par aborder la partition par moi-même, explique Arielle Beck. Oh bien entendu, je possède une vraie culture de l’écoute, je connais les grands interprètes d’hier et d’aujourd’hui, mais je m’efforce de laisser mes souvenirs de côté pour ne pas en être encombrée. Passé ce premier travail, je reçois les conseils et l’avis des professeurs, essentiels parce qu’ils me permettent de développer ma personnalité, de découvrir des choses qui peuvent être évidentes mais que je ne discerne pas forcément. » C’est d’alchimie qu’il s’agit. L’humilité compte pour beaucoup, la technique et le lâcher prise également.

La découverte de Shakespeare et de la poésie

Consciente qu’elle ne peut se contenter d’arpenter les territoires de la musique pour s’épanouir, attentive à ne pas devenir une machine, Arielle Beck aime la lecture. Mais alors, trait d’humour involontaire, elle déclare qu’elle a découvert Shakespeare « toute jeune ». Cela signifie-t-il qu’au berceau… Mais non, voyons ! Cessons de ramener la pianiste à son âge. Ecoutons-la plutôt. « J’aime évidemment « La tempête », « Roméo et Juliette » aussi, toutes les fantasmagories shakespeariennes. Je découvre avec plaisir la poésie. Mais les romans, les œuvres de fiction, me laissent indifférente. Peut-être les aimerai-je plus tard, mais ce n’est pas vers elles que je me tourne en ce moment. Le domaine pour lequel je me passionne absolument, c’est la psychanalyse et l’univers onirique en particulier. Depuis quelques mois, je note mes rêves et mes cauchemars avec assiduité. »

Le cinéma compte aussi pour cette jeune soliste. Ce ne sont pas les acteurs contemporains qui la séduisent, mais James Steward et James Mason. Parfait : l’alliance de l’idéal et de l’ambiguïté, voilà qui signe une lucidité véritable. Et puisqu’il faut bien rire un peu, c’est vers Buster Keaton qu’Arielle Beck aime tourner le regard quand elle veut s’amuser.

Continuer à travailler et à se questionner

Il n’est pas encore l’heure pour elle de s’imaginer des plans de carrière, de tracer rectiligne un parcours. Face à la pression, cette jeune fille déclare de ne pas se poser toutes les questions du monde. Elle a bien raison. Le visage de son père, à la fin du récital d’Angers, traduisait des angoisses dont on lui souhaite qu’il guérisse un peu. « J’essaie de me concentrer sur mon travail, dit Arielle, sur la musique et la culture générale, tout ce qui peut enrichir ma façon de jouer. Vers douze ans la mort m’a fait peur, tout d’un coup j’y ai pensé. J’y réfléchis beaucoup. Comment est-ce que je jouerai dans dix ans ? Je ne le sais pas, bien entendu. J’essaie de rester positive avec moi-même. »

Le temps va jouer son rôle, distribuer la part des peines et des succès, des bonheurs. Arielle Beck a déjà beaucoup de talent. De la musicalité à revendre. En protestants plein d’espérance, nous lui souhaitons mieux que monts et merveilles : un beau chemin d’étoile.

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