L’urgence n’est pas la précipitation. Voilà pourquoi les grands artistes aiment le temps. Nous avons connu la brune liane rieuse, un feuillage de lumière à nul autre semblable ; voici la flamme en pleine possession de sa maturité, violoncelliste qui cultive sa jeunesse à chaque instant renouvelée. Sonia Wieder-Atherton vient d’enregistrer les dernières Suites de Bach, et c’est une traversée qui ne saurait se manquer. « Je n’ai pas de vision prédéfinie de ma vie, dit-elle en préambule. Chaque journée me surprend. L’action de la veille suscite l’instant présent. L’idée de parcours – pour ne rien dire du mot “carrière” – m’est déplaisante. Je préfère parler d’un chemin. Voici quelques semaines, à la Philharmonie de Paris, j’ai donné Les Carnets de là-bas, spectacle associant des textes et des œuvres musicales, fondé sur le souvenir de Natalia Chakhovskaïa [violoncelliste russe dont Sonia fut l’élève et l’amie, NDLR]. Ce qu’elle m’a donné, sa façon de vivre en URSS et ses prises de position courageuses m’ont inspirée, donné le désir d’écrire des mots, de les dire en même temps que de jouer de la musique, en public. »
Par sa mère, Sonia Wieder-Atherton est juive ; par son père, elle est protestante. « Être », qu’est-ce que cela signifie ? Ce n’est pas de double appartenance qu’il s’agit. Tout au contraire, une véritable unité semble animer cette artiste. « Pour moi, les juifs et les protestants sont très proches, dit-elle. Ce qui me donne cette impression, j’allais dire cette sensation, c’est l’interdit commun de la représentation. Quand je me trouve en présence d’une œuvre d’art, une sculpture, un tableau, je peux trouver cela extraordinaire, mais je devine l’idolâtrie qui rôde et cela me gêne. Parce que nous levons les yeux vers quelque chose qui nous surplombe, nous ne voyons plus l’œuvre telle qu’elle est. Nous la remplaçons par notre imaginaire, et nous faisons fausse route ! »
Jouer comme la première fois
Sonia Wieder-Atherton estime que le face-à-face entre l’œuvre d’art et son public implique une égalité, le respect de chacun. C’est à la lumière de cette conviction que l’artiste a choisi d’interpréter les Suites pour violoncelle de Bach, pierre angulaire du répertoire. On connaît l’aphorisme de Cioran : « S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu. » Jouer les œuvres du Cantor ne s’apparente-t-il pas à de l’exégèse ? « Non, je ne comparerais pas les Suites de Bach à de la théologie, réplique Sonia Wieder-Atherton. D’ailleurs, la théologie […]